Après Clara Luciani, Juliette Armanet et Zaho de Sagazan, Solann reprend, avec un aussi bel élan, le flambeau de la révélation féminine, grâce à Monstrueuse : un premier mini-album ensorceleur, mi-ange mi-démon !
Dans Monstrueuse, Solann libère sa parole et laisse s’épanouir sa colère. Preuve de son succès grandissant, les paroles engagées de son tube Rome se retrouvent désormais sur les pancartes brandies par la foule lors de manifestations contre le harcèlement sexuel. Le clip cumule à présent plus de 1,5 million de vues sur YouTube. Alors qu’elle est en train de travailler sur la suite en studio, la jeune artiste a accepté pour L’Éclaireur de revenir sur ce début de carrière étincelant et prometteur.
Vous avez choisi de baptiser votre premier EP du nom de la chanson qui le clôt : Monstrueuse. Pourquoi ce choix peu accueillant ?
Ce nom a beau être peu accueillant, il attire quand même l’attention. Je l’ai choisi pour trois raisons. La première : les monstres sont les personnages que je préfère dans les histoires. La deuxième : je sais que je suis toute fluette et que je n’ai pas l’air d’un monstre, mais je souhaitais aller à l’encontre de l’image que je renvoie. Et enfin, la chanson Monstrueuse clôt l’EP et annonce ainsi une direction musicale possible de mon futur album. Atmosphérique et davantage électronique, elle montre que mon univers ne se limite pas au ukulélé, que j’adore !
Dans cette chanson, on entend des échos de voix bulgares.
Mes parents m’en ont fait beaucoup écouter, mais je suis très sensible aux musiques traditionnelles de manière générale. Les mélodies d’antan me parlent beaucoup. Les voix bulgares, les chants arméniens ou les chants irlandais, à mon sens, se marient très bien avec des sonorités modernes.
Vous avez des origines arméniennes par votre mère. En êtes-vous proche ?
J’aimerais en être plus proche. Quand les membres de ma famille sont venus d’Arménie en France, ils ont arrêté de parler l’arménien et ont renié leur culture pour mieux s’intégrer. Cela étant, j’ai été bercée par les sons du duduk. Désormais, j’apprends un peu la langue pour y aller prochainement.
Vous vous êtes fait remarquer en jouant et composant au ukulélé. Quel est votre attachement à cet instrument ?
Au départ, c’était la facilité. Je voulais apprendre à jouer d’un instrument que je pouvais transporter avec moi partout. Il contient seulement quatre cordes et les accords sont faciles à retenir. Puis, j’ai été séduite par les sons intimistes qu’il renvoie, du coup, je l’emmène même sur scène. J’en joue sur certains morceaux clés. Souvent, je commence par une chanson au ukulélé, cela me rappelle mes débuts, mais, au cours du set, je m’en détache, comme sur l’EP. J’ai composé Perdu, Petit Corps ou Fondre chez moi au ukulélé, mais Marsō, mon binôme et producteur, est venu les enrichir en studio, voire me faire des propositions sans l’instrument.
Votre EP est imprégné de mythologies, comme les dix plaies d’Égypte. Dans la chanson Rome, vous faites allusion à la louve qui aurait allaité Romulus et Rémus. Pouvez-vous nous en parler ?
J’aime les contes chargés de symboles qui ont un écho dans notre monde actuel, et par conséquent les dix plaies d’Égypte. Pour Rome, j’ai écrit la chanson instinctivement. Mes années de latin m’auront finalement servi ! Cette image marquante de la louve est ancrée dans la mémoire collective. Je la trouvais forte pour parler de harcèlement, celui des hommes, mais aussi celui des femmes qui étaient très critiques lors de ma période de mannequinat. Lors de manifestations, j’ai vu des pancartes qui en reprenaient le texte. C’est ma plus grande satisfaction !
Vos parents ont beaucoup travaillé sur les planches et vous avez, vous-mêmes, fait du théâtre. A-t-il influencé votre manière de chanter ?
Oui ! Dans certaines chansons, ça se ressent véritablement. Dans Narcisse notamment, je parle littéralement d’une comédienne. Le théâtre m’a insufflé l’amour des textes et cette écriture à la première personne. J’incarne ainsi mes chansons pour mieux instaurer un dialogue avec le public.
Dans Petit Corps, vous parlez de votre rapport difficile à votre corps.
Oui, j’ai énormément de mal avec mon corps depuis l’adolescence, durant laquelle j’ai souffert de critiques. J’écris des chansons en espérant m’affranchir de problèmes. Parfois, ça marche, parfois pas. Dans ce cas, je voulais juste en parler, mais mon problème perdure !
Un titre s’intitule Crash. Y a-t-il un lien avec le film sulfureux de David Cronenberg, sorti en 1996 ?
Non, on m’en a parlé après ! Effectivement, ça colle un peu. Mais j’ai écrit la chanson sans avoir vu le film. Elle parle surtout de violences conjugales que j’ai transposées dans une métaphore et une histoire plus facile à digérer.
Quelles sont vos influences musicales ?
J’ai été bercée par les standards de jazz, de Nina Simone à Ella Fitzgerald, par ma mère. Mon père était plus sensible aux textes et donc à la chanson française, celle de Brel et d’Aznavour. De mon côté, j’ai découvert la folk et l’électro. Je suis fan d’Hozier et Björk, pour leurs univers très marqués et assumés, mais aussi de Dire Straits.
Mon père m’a transmis le virus. Quand je ne vais pas bien, je me réconforte avec Sultans of Swing ou Expresso Love : très efficaces. Ma grand-mère maternelle a aussi joué un rôle essentiel dans mon apprentissage. Elle m’a sensibilisée à la musique classique en m’emmenant à des concerts proches de chez elle. C’est notre rituel. L’année dernière, nous avons découvert L’Opéra de quat’sous à Aix-en-Provence. Elle est un des piliers de mon existence.
Écoute-t-elle du Solann ?
Oui, c’est trop mignon ! Je lui ai offert mon vinyle, mais elle m’a dit qu’elle était allée à Montpellier, à la Fnac et qu’elle y avait acheté mon CD en plus. À chaque fois qu’elle me dit qu’elle écoute Monstrueuse, ça me rend heureuse.
Aimeriez-vous faire un duo ?
Oui, je commence à m’en sentir légitime, j’y réfléchis en ce moment. J’aimerais beaucoup en faire un avec Zaho de Sagazan ou Tamino.