Avec Anora, Sean Baker s’affirme en tant que réalisateur en signant une fable féministe, et une dramédie sociale sur l’Amérique contemporaine. Le film a remporté la Palme d’or de cette 77e édition du Festival de Cannes, et sort ce mercredi 30 octobre dans les salles de cinéma.
Le nom d’Anora est sur toutes les lèvres depuis quelques jours, mais aussi depuis quelques mois après avoir remporté la Palme d’or au dernier Festival de Cannes. Et pour cause, le réalisateur à qui l’on doit Red Rocket (2022) a pris du galon. Plus dense et plus maitrisé en termes de rythme et d’écriture que sa précédente œuvre, Anora repose sur un humour savoureux — marque de fabrique de son cinéaste qui n’hésite pas capturer la légèreté dans les moments les plus graves –, une vitalité des personnages que le réalisateur filme avec une grande humanité, mais surtout une mise en scène solide, parfois osée.
Anora suit Ani, une travailleuse du sexe incarnée par Mikey Madison ; sorte de Pretty Woman (1990) des temps modernes. Sauf qu’à la différence de la comédie des années 1980 portée par Richard Gere et Julia Roberts, le couple qu’Anora va former avec un jeune héritier russe, Vanya, rencontré dans une boite de strip-tease, va vite battre de l’aile quand la famille de ce dernier les oblige à divorcer après un mariage prononcé à Las Vegas. Le rêve d’Anora, pour qui on se prend d’adoration à la moindre punchline, va vite s’effondrer lorsque les sbires russes de Vanya vont tout faire pour les amener devant le tribunal afin d’annuler leur union.
Un génie d’écriture
Avec Anora, Sean Baker montre qu’il est désormais un réalisateur qui compte dans le cinéma, et plus seulement dans le cinéma indépendant américain qui l’a vu naître avec The Florida Project (2017). Il prouve que c’est un véritable auteur capable de saisir toutes les nuances de ses personnages et d’en définir les contours, pour finalement mieux les déconstruire par la suite. Ainsi, le gamin que l’on espérait profondément sincère s’avère d’un égoïsme enfantin affligeant, Anora, strip-teaseuse à la langue bien pendue va finalement dévoiler une fragilité percutante, tandis que la bande de mafieux russes offrira de nombreux rires plutôt que de convoquer une certaine frayeur chez le spectateur.
Chez Anora non plus, cela ne fonctionne pas. Il faut dire que l’héroïne est particulièrement puissante, d’abord en utilisant son corps, mais aussi toute la rage qu’elle a en elle pour combattre ses ennemis. Sean Baker sait écrire ses personnages principaux, et notamment ses personnages féminins. Il sait les mettre en lumière, souvent face à des hommes ridicules et déjantés, pour mieux prôner leur féminité et leur liberté. Ainsi, si dans Red Rocket Strawberry subissait la folie de Simon Rex, Anora, quant à elle, doit dealer avec une bande de bras cassés russes.
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— Festival de Cannes (@Festival_Cannes) May 22, 2024
ANORA – SEAN BAKER
Avec l’équipe du film / With the film crew
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Une fresque sociale
Par ailleurs, la fraîcheur d’Anora réside dans son rythme proche à la fois de la comédie sexuelle et du drame féministe. Le film ne tombe jamais dans le misérabilisme de la condition de son héroïne. Il n’en fait jamais une proie, ni une victime. Anora, même dans les situations les plus délicates, est d’une force rare, face à des hommes constamment ridicules.
À une autre échelle, Sean Baker, en fin observateur de son Amérique natale, raconte aussi la lutte des classes. Anora prend, en effet, pour contours le combat des prolétaires face aux excès des ultra-riches ; l’illusion que l’argent offre et le piège que cela peut représenter dans une société qui prône constamment la poursuite du rêve américain.
Après Red Rocket, le cinéaste interroge une nouvelle fois cette thématique et sa sempiternelle quête perdue d’avance. Il observe d’abord, cela à travers le personnage de Vanya, un jeune homme d’origine russe qui cherche à acquérir la nationalité américaine pour contester l’autorité de ses parents. Puis chez Anora, une travailleuse du sexe qui voit dans cette union, une chance de s’en sortir.
Fresque féministe et comédie sociale, Anora est d’une richesse inattendue, que ce soit dans son propos, sa mise en scène, ou bien l’appréhension de ses personnages. D’une densité rare, mais en même temps particulièrement subtil, le film est surtout l’affirmation d’un cinéaste et d’un auteur à travers le regard qu’il porte sur le cinéma contemporain, sur le féminisme, mais aussi sur son Amérique. Tous ces thèmes rappellent le travail de Greta Gerwig au début de sa carrière, mais aussi avec Barbie (2023). La présidente du Jury s’est assurément laissée convaincre par l’un de ses homologues du Nouvel Hollywood contemporain, en lui remettant la Palme d’or du 77ᵉ Festival de Cannes.