Le réalisateur italien revient au cinéma avec un film suivant le voyage de deux jeunes Sénégalais pour rejoindre le continent européen. Entre le sens aiguisé de Matteo Garrone pour la mise en scène et le talent inné de ses jeunes comédiens non-professionnels, Moi, capitaine est déjà l’un des grands films de ce début d’année.
En quelques années, le réalisateur italien Matteo Garrone s’est imposé dans le paysage cinématographique grâce à ses propositions franches et son esthétisme poussé. Entre le monde violent de Gomorra (2008), la paranoïa dépeinte dans Reality (2012), la représentation de la Fantasy et de l’imaginaire dans Tale of Tales (2015) ou Pinocchio (2019), le cinéaste s’est toujours servi de ses films pour alimenter un propos et des thématiques liées à la découverte, au voyage, ou à la pérégrination de ses personnages, qu’elle soit physique ou spirituelle.
Moi, capitaine, son nouveau film en salles ce 3 janvier 2024, Lion d’Or du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, conserve les mêmes éléments et suit le parcours exigeant de deux Sénégalais de 16 ans, qui quittent leur pays pour rejoindre l’Europe et toutes ses promesses.
Moi, capitaine a ainsi une double identité : d’un côté, le film met en lumière l’enfer vécu par les migrants, de leur pays d’origine à la Méditerranée, et dévoile différentes facettes de leur voyage, avant la mer, entre la dangerosité du désert et des zones en guerre.
De l’autre, le film a quasiment un aspect de road-trip onirique, qui ne tombe jamais dans le misérabilisme et permet à ses personnages de grandir et de découvrir une part d’eux-mêmes qu’ils ne soupçonnaient pas.
C’est dans cette dualité que le film de Matteo Garrone arrive à exister. Suffisamment concret et authentique, sans perdre de vue l’importance cinématographique et la part d’imaginaire propre à l’œuvre du réalisateur. Ainsi, derrière la dureté du propos — et de certaines scènes — se cache des moments inespérés de douceur et de beauté, en fonction des rencontres et des mains tendues.
Deux comédiens non-professionnels en tête d’affiche
Pour permettre cet équilibre subtil, le film peut compter sur son casting et en particulier sur ses deux comédiens principaux, Seydou Sarr et Moustapha Fall, deux jeunes acteurs non-professionnels.
Avec une authenticité impressionnante, ils délivrent une prestation remarquable, et offre beaucoup de cœur à ce sujet délicat. Leurs personnages ne sont en réalité qu’espoir enfantin, adolescents en quête d’un monde meilleur qui ne vivent ni dans la misère, ni dans le conflit, mais sont bercés par la promesse de l’Europe depuis toujours.
C’est l’une des grandes forces du film : dévoiler un désir de quitter son pays non pas par nécessité ou horreur, mais par espoir et optimisme. Moi, capitaine tranche là aussi avec certaines visions attendues des migrants et de leurs parcours.
Le long-métrage s’inspire d’évènements vécus par de véritables personnes, que Matteo Garrone a rencontré, et montre bien comment même dans leurs pays d’origine, il est déconseillé de partir. Les supplices rencontrés en chemin et le résultat à l’arrivée — si arrivée il y a — ne valent pas l’effort.
Cette notion, le film parvient à la retranscrire grâce à la longue, très longue, quête et marche de ses protagonistes. Chaque arrivée dans un nouvel endroit est synonyme de nouveau départ vers l’inconnu, jusqu’au climax en mer, donnant son titre au film, instant de pure émotion, encore une fois magnifiée par le talent de son réalisateur.
Derrière un sujet compliqué pouvant facilement tomber dans un tire-larme superficiel, Moi, capitaine — sélectionné dans la catégorie meilleur film en langue étrangère aux Golden Globes 2024 — est l’une des meilleures œuvres de son auteur.
En optant pour une simplicité de ton et une richesse de forme sans tomber dans certains de ses travers habituels, il livre un récit poignant et intéressant, levant le voile sur certains des plus grands drames humains de ces dernières années.