Le nouveau film de la saga opère un retour aux sources intéressant en se focalisant sur le personnage ambigu de Coriolanus Snow. Critique.
Tout portait à croire, en 2015, que la saga Hunger Games était terminée pour de bon, après quatre films adaptant les trois livres parus entre 2008 et 2010. En 2020, pourtant, une double surprise est annoncée : la sortie en librairie d’un prequel, toujours écrit par Suzanne Collins, et la mise en production de son adaptation quasi immédiate sur grand écran, avec le retour de Francis Lawrence à la réalisation, déjà à l’œuvre sur les trois derniers films.
Hunger Games : la ballade du serpent et de l’oiseau chanteur arrive au cinéma et parvient à donner un nouveau souffle à la saga, en acceptant son postulat initial : raconter les origines du Président Coriolanus Snow (Tom Blyth), antagoniste principal des premiers films. Pari réussi.
Plus de 60 ans avant l’histoire de Katniss Everdeen, Coriolanus Snow est un jeune homme en quête de grandeur, vivant au sein du prestigieux Capitole, quelques années après les Jours sombres et la révolte avortée des Districts. Étudiant brillant, il découvre avec stupeur que lui et ses camarades ont été désignés pour être mentors des prochains Hunger Games, ces jeux violents créés pour punir chaque année les districts de l’insurrection. Coriolanus se voit attribuer la fille du District 12, Lucy Gray Baird (Rachel Zegler).
L’émergence des Jeux de la faim
Hunger Games : la ballade du serpent et de l’oiseau chanteur fonctionne tout d’abord grâce à sa direction artistique et sa temporalité. Soixante ans avant le premier film Hunger Games, les Jeux sont totalement différents et s’inscrivent dans l’inspiration assumée de l’autrice de la mythologie romaine. L’arène est statique, circulaire, imposante, sans artifice. Les pierres sont froides, l’ambiance est austère et le film gagne beaucoup en montrant les premières éditions des Jeux, à l’époque de l’exécution glaçante, avant l’émergence du spectacle et de la technologie.
Ce nouveau Hunger Games s’apprécie d’ailleurs nettement plus en ayant à l’esprit l’évolution de la société et du contrôle du Capitole sur les Districts. Car, sous l’impulsion du jeune Snow, les Jeux vont justement évoluer.
Plus que les Jeux, l’émergence d’un grand antagoniste est au cœur du prequel. Snow est voué à devenir le dirigeant implacable et froid de Panem. La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur dépeint cette construction avec beaucoup d’ambiguïté et de dramaturgie.
Le jeune Coriolanus est – d’abord – attachant. Enfant de la guerre et de la misère, orphelin d’un père assassiné par les Districts, sa quête de réussite est suffisamment parsemée d’émotion pour rendre le personnage touchant. Admirablement bien tenu par Tom Blyth, Coriolanus doit composer avec un monde sévère et l’héritage d’un nom difficile à porter. Hunger Games a toujours joué avec les zones grises et, en imposant le point de vue de son personnage le plus antipathique, le prequel réussit à fasciner et se dote d’une ambiance grave : point d’espoir à l’horizon, puisque les Districts ne sont qu’au début du long supplice des Jeux.
Face à lui, Rachel Zegler incarne la Tribut du District 12, Lucy Gray Baird. Après avoir été révélée dans West Side Story (2021) de Steven Spielberg, l’actrice trouve un nouveau rôle chantant (et le film comporte aussi une chanson de la talentueuse Olivia Rodrigo, en plus des nombreux morceaux de Zegler). Son personnage, électron libre dans un monde formaté, est l’anti-Katniss : plus douée avec une guitare qu’un arc, aspirant à vivre en dehors de la société sans la volonté pour autant de renverser l’ordre établi.
Rachel Zegler parvient à insuffler beaucoup de charisme à ce personnage, à la fois fragile et fort – surtout lors des nombreuses séquences où elle chante –, alors que sa relation avec Snow est réellement le point d’orgue du film. Les deux personnages ont chacun un but particulier, mais se servent mutuellement de l’autre pour y parvenir. Tout le film est construit avec une dramaturgie surprenante et s’émancipe, parfois, des règles attendues dans un blockbuster de littérature Young Adult. La force du film est finalement de s’intéresser avant tout à ces deux personnages plutôt qu’aux Jeux.
La saga a toujours eu un aspect très voyeuriste autour de la mort d’adolescents plongés dans une course mortelle contre le temps et contre les autres. La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur n’élude pas cet aspect, mais change le point de vue narratif.
Un nouveau point de vue pour la saga
Ce n’est pas un des Districts qui est introduit, mais bien le Capitole, avec ses règles, ses personnages et ses usages. Le film bénéficie alors d’une richesse visuelle saisissante, entre les décors majestueux et les costumes splendides. Là où les premiers films avaient un regard très brumeux sur le fonctionnement du cœur de Panem, ce nouveau film inverse le point de vue et reste, quasiment tout le long, du côté des habitants du Capitole, dont les charismatiques Peter Dinklage et Viola Davis, qui incarnent respectivement Casca Highbottom (le créateur des Jeux) et Volumnia Gaul (scientifique responsable de certaines épreuves ).
Les Jeux sont appréciés par leur regard (à travers un dispositif TV très 1950), pas par celui des Districts. La curiosité morbide satisfaite, Francis Lawrence reste tout de même centré sur le destin de son protagoniste et n’hésite pas à faire totalement basculer l’intrigue dans le dernier tiers, le plus surprenant, qui révèle toute la thématique du film.
Les aspects politiques ne sont pas ignorés, la relation entre les personnages est concrète et, pour un film vendu comme un grand spectacle, il en ressort une sobriété et une retenue particulièrement étonnantes, mais salvatrices. En quelques années et après plusieurs films de la saga, le réalisateur atteint une nouvelle maîtrise formelle et, par sa densité, ce prequel se distingue des autres films : plus riche par moments, moins porté sur l’action ou par la promesse d’un film dans une arène ingénieuse. Il se démarque, s’émancipe même, mais montre à quel point l’univers créé par Suzanne Collins est riche et regorge de périodes à explorer et de personnages à suivre.
Hunger Games : la ballade du serpent et de l’oiseau chanteur répond en fait à deux considérations : Panem existe aussi en dehors de l’histoire de Katniss (avec un passé, des traumas, des échecs), et l’ambiguïté ressentie dès les premiers films se confirme : Bien et Mal coexistent, évoluent, et toute la violence des Jeux – qui ne concerne PAS que l’arène – dépeint bien sûr la civilisation en cours de création.
Plus que tout, le film crée vraiment son antagoniste principal et pose avec brio les bases de ce qu’il deviendra, dans une fresque mêlant différentes émotions et considérations. L’exercice du prequel n’est jamais simple. Hunger Games en ressort victorieux.
Hunger Games : la ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, de Francis Lauwrence, avec Tom Blyth, Rachel Zegler, Viola Davis et Peter Dinklage, 2h38, en salle le 15 novembre 2023.