Chef-d’œuvre du cinéma de science-fiction, le film 2001 : l’odyssée de l’espace a eu un impact dans le monde entier, y compris au Japon, en inspirant de très nombreux artistes. L’auteur de mangas Yukinobu Hoshino a même osé l’impensable : poursuivre le récit à travers une série d’histoires courtes inédites !
Près de 40 ans après sa première publication au Japon, le manga 2001 Nights Stories s’offre une réédition française en deux volumes qui fait figure d’événement. Cela faisait une décennie déjà que cette œuvre précurseure en matière de science-fiction n’avait pas été rééditée dans notre pays. En 2012, l’éditeur nous présentait ce monument de SF dans une édition en coffret à tirage très limité (à 2001 exemplaires…) pour un total de plus de 750 pages.
Le 4 octobre 2023, 2001 Nights Stories revient enfin dans une édition en deux tomes pour donner à tout le monde l’occasion de (re)découvrir ce voyage fascinant à travers les yeux d’un auteur au nom prédestiné (Yukinobu Hoshino comporte le terme « hoshi » qui signifie « étoile » en japonais).
L’hommage au film 2001 : l’odyssée de l’espace
Impossible de faire la liste de tous les ingrédients qui ont fait du film 2001 : l’odyssée de l’espace un objet de fascination dès sa sortie en 1968. Mais on peut tout de même retenir certains thèmes que l’on retrouve notamment dans le manga 2001 Nights Stories. L’œuvre de Stanley Kubrick et d’Arthur C. Clarke nous parle de l’origine de l’humanité, de l’éveil de la connaissance, des voyages intersidéraux, des dérives de l’intelligence artificielle et de la place de l’être humain dans l’univers. Par extension, il nous laisse nous interroger aussi sur la possibilité de trouver des traces provenant d’une autre civilisation au sein du cosmos.
Réalisé juste avant que l’homme ne pose le pied sur la Lune, 2001 : l’odyssée de l’espace est un film pionnier dans de nombreux domaines. Il pose mille et une questions sur la manière dont on peut appréhender la science-fiction et surtout la prendre au sérieux. Ses images et sa musique sont ancrées fermement dans la mémoire collective, alors même que l’on continue de s’interroger sur la signification de sa fin, sans doute la plus déroutante que l’on ait vue dans toute l’histoire du cinéma…
2001 Nights Stories : une suite d’origine japonaise
Publié en 1984, le manga 2001 Nights Stories est né d’abord de l’envie d’apporter une suite au long-métrage à travers une collection de 19 histoires courtes autour de l’exploration et de la colonisation spatiales. Yukinobu Hoshino relève alors ce défi impensable en toute humilité, avec un talent incroyable pour le dessin et un respect sincère du matériau original.
Ses 19 récits y sont baptisés des « nuits », soit autant de chapitres qui composent les 750 pages de ce manga en deux volumes qui n’a rien perdu de sa superbe encore aujourd’hui.
Le grand ancêtre et les origines de l’humanité
Mais de quoi nous parle le manga 2001 Nights Stories, précisément ? Bien que l’œuvre de Yukinobu Hoshino soit très personnelle, elle affiche dès le début son intention de rendre hommage au film 2001 : l’odyssée de l’espace en prolongeant son imaginaire. Le prologue débute ainsi exactement de la même façon, au temps de la préhistoire.
Il retrace l’instant clé de l’évolution de l’humanité, qui voit les primates s’armer de gourdins pour dominer les autres créatures vivantes de la planète Terre. Le monolithe de Kubrick frappe par son absence, mais on retrouve ce même travelling mémorable sur l’os de fémur projeté en l’air qui se fond en un vaisseau spatial prêt à nous conduire jusqu’aux étoiles.
Tout se passe comme si l’auteur nous disait « voilà ma propre version de l’odyssée de l’espace » et celle-ci va se révéler bien différente, car plus romanesque, tout en restant ancrée dans le réel. Le manga s’appuie en effet directement sur certaines dates clés de l’histoire spatiale de notre monde, comme lorsqu’un chimpanzé fut envoyé en orbite – avant que le premier vol habité dans l’espace se concrétise en 1961.
Comparable à un roman graphique servi par un trait ultraréaliste, le manga 2001 Nights Stories accorde une place primordiale aux images. La narration prend la forme d’un récit conté en arrière-plan et chaque segment consacre une importance variable aux dialogues. Car c’est bien l’image qui doit servir de passerelle principale à ces visions futuristes. On y lit un avenir qui pourrait bien être l’une des innombrables potentialités du futur de l’humanité.
Vers les orphelins des étoiles
Le meilleur moyen de présenter ce que renferme ce monument de SF est sans doute de résumer dans les grandes lignes le point de départ de ses tout premiers chapitres. Rassurez-vous, nous n’irons pas très loin afin de préserver au maximum la surprise, mais cela devrait vous permettre de cerner toute la diversité des thématiques qui y sont abordées.
Dans le chapitre « Lumière cendrée », la navette Orion transporte deux astronautes qui opèrent dans le plus grand secret lorsqu’ils détectent soudain un satellite… tueur de satellites. Les Soviétiques utilisent-ils ce canon géant à faisceau de particules pour détruire des ogives nucléaires ? Mais les deux hommes n’ont été informés ni du but de leur mission ni de la nature de ce qu’ils transportent dans leur soute. À travers ses personnages, l’auteur fait un discours antiguerre qui dénonce l’absurdité des conflits terrestres : « Je me disais que notre planète était superbe. Dans les ténèbres de l’univers, c’est la seule étoile irradiée par la vie. »
Le récit « La Mer de la fertilité » se situe sur la Lune. Intriguée par la découverte de fragments d’une ancienne météorite sur une base lunaire, une équipe emmène une jeune femme sur la mer de la fertilité à la recherche de son frère disparu. Mais comment pourrait-on vivre ne serait-ce qu’une année sur un monde stérile privé de ciel bleu ? Et où trouver de l’espoir si l’univers ne renferme aucune trace de vie ailleurs que sur Terre ?
Dans le chapitre « Maelström III », l’auteur s’amuse à reprendre le nom de Dave (figure centrale du film de Kubrick) pour l’attribuer à un explorateur d’astéroïdes précipité dans l’espace après avoir heurté des débris célestes. Son binôme Franck G. Borman aura-t-il assez d’oxygène pour attendre l’arrivée des secours ? Le mangaka ne pouvait pas non plus faire l’impasse sur le superordinateur HAL 9000 et s’en inspire directement dans « Le Voyageur du lointain ». Conçu pour faciliter la navigation lors des voyages interstellaires, l’ordinateur K.A.R.C. 9000 existe dans le seul but d’assister l’espèce humaine, considérée comme la forme de vie la plus aboutie du système solaire. Mais quelle est la place réelle de la machine dans l’univers ? L’IA s’interroge…
Dans le récit intitulé « La Porte des étoiles », un homme entre la vie et la mort fait l’expérience d’un voyage sidéral surréaliste au cœur de la Voie lactée. Sa conscience voyage seule à la recherche de l’ultime secret de l’univers pour entrevoir la porte des étoiles. La réflexion se prolonge dans « Les Orphelins des étoiles » où notre civilisation est à la recherche d’une planète idéale pour le genre humain. Un programme spatial envoie alors un couple d’ovules et de spermatozoïdes congelés dans l’espace… Mais que vont devenir ces enfants élevés uniquement par des robots ?
Les mots de Yukinobu Hoshino
Dans la postface de l’édition de 2012, l’auteur de 2001 Nights Stories expliquait les origines de ce projet hors normes : « Il s’agissait de rendre hommage au film 2001 : l’odyssée de l’espace en en reprenant les scènes les plus marquantes afin de les recomposer de façon totalement originale. Nous comptions mettre un terme à ce travail lorsque la matière serait épuisée. »
Mais, alors que la source d’inspiration originale commençait à se tarir, la rédaction encouragea l’auteur à poursuivre en imaginant des récits totalement inédits : « Afin de continuer mon histoire, il me fallait alors faire en sorte que l’espèce humaine s’envole pour de lointaines galaxies. C’était le moment de mettre en scène une nouvelle source d’énergie : l’antimatière. » C’est la raison pour laquelle, dès le huitième chapitre, le manga prend son envol pour suivre sa propre trajectoire. L’histoire gagne alors en imprévisibilité, se détachant définitivement de l’œuvre de Kubrick et de Clarke.
Dans sa globalité, le manga 2001 Nights Stories relate 19 récits qui conduisent tous à des réflexions poussées autour de la thématique spatiale. De quoi s’interroger encore longtemps sur ce que l’univers sera en mesure de révéler aux générations futures.