Entretien

Katherine Pancol : “Une erreur, même infime, et le lecteur doute”

17 juillet 2023
Par Thomas Louis
Katherine Pancol a sorti son nouveau roman, “La Mariée portait des bottes jaunes”, le 12 avril 2023.
Katherine Pancol a sorti son nouveau roman, “La Mariée portait des bottes jaunes”, le 12 avril 2023. ©Sylvie Lancrenon

Katherine Pancol est de retour avec un nouveau roman en forme de saga familiale, La Mariée portait des bottes jaunes, aux éditions Albin Michel. Une plongée au cœur du vignoble Bordelais, portée par une chorale de personnages savoureux, qui, entre petites trahisons et gros secrets, ont tous quelque chose à nous dire.

Cette histoire se tient dans un endroit très identifié : connaissiez-vous la région du Bordelais auparavant ?

Je connaissais le Bordelais mais… je le traversais. Je le photographiais à la hâte sans y pénétrer. Et puis, un jour, le vignoble, les châteaux, les arbres, les chais se sont animés et m’ont inspiré une histoire.

Y’a-t-il une raison pour laquelle vous avez installé votre histoire en 2010 ?

Parce que cela a été une très grande année pour les vins de Bordeaux. Ils régnaient, incontestés, dans le monde entier, et les propriétaires de ces illustres vignobles étaient des seigneurs devant lesquels on s’inclinait.

C’est un roman riche, très documenté : qu’avez-vous mis en place pour vous imprégner de ce sujet ?

Je me suis installée dans un château (qui produit un grand Graves). Les propriétaires ont eu la générosité de m’accueillir pendant plusieurs séjours. J’ai observé, écouté, débusqué “les divins détails” comme dirait Nabokov, posé des questions, pris des notes. Je voulais que tout soit juste. Une erreur, même infime, et le lecteur doute. J’ai interrogé tous les acteurs : du journalier qui vendange à l’œnologue qui construit le cru de l’année, en passant par le chef de culture, le maître de chais, l’ouvrier qui conduit le tracteur enjambeur.

À partir de
24,90€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Reste-t-il quelque chose de votre carrière de journaliste dans ce livre ?

J’étais et je suis restée curieuse. Depuis ma toute petite enfance. Bien avant le journalisme. Curieuse de tout. J’enregistre un geste, une réplique, une attitude, une moue qui vont construire un personnage, une atmosphère. “Ne pas dire, montrer” : c’est la grande règle quand on écrit, et c’est le plus difficile. Il ne faut pas dire “il neige”, mais montrer des traces de pneus dans la neige.

Dans ce roman, il y a beaucoup de personnages : aviez-vous conscience qu’il allait y en avoir autant ?

J’ai commencé par construire quelques personnages, les principaux, et les autres se sont ajoutés au fur et à mesure que l’histoire prenait de l’ampleur. Je n’écris pas vite. Il me faut bien deux ans pour écrire un roman, en travaillant tous les jours. J’ai le temps de remplir mes personnages.

« Chaque personnage est mon préféré. J’entre dans sa tête, dans son cœur, dans ses contradictions. »

Katherine Pancol

Êtes-vous familière avec cette idée selon laquelle le personnage s’anime seul au moment de l’écriture ?

J’écris AVEC les personnages. L’histoire doit venir des personnages et non pas de l’extérieur. Ce sont les personnages qui font l’histoire. Avant de commencer à écrire, je m’imbibe d’eux. Je sais tout d’eux, ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne feront jamais. Chaque personnage a sa propre dynamique et je n’ai plus qu’à le suivre.

Et à quoi cela peut-il conduire lorsqu’on écrit ?

Je suis comme la lectrice, le lecteur. Je suis tenue en haleine. Chaque après-midi, quand j’ouvre mon ordinateur pour reprendre le cours du livre, je repars avec eux sur la route du récit, je ne sais pas ce qu’ils vont faire. J’ai une intuition, mais ils peuvent me surprendre. Toujours. Et j’accepte de me laisser mener par eux.

Aliénor est, à titre d’exemple, un personnage assez contrasté, riche, sur qui on peut potentiellement changer d’avis au fil de la lecture : est-ce que ça pourrait incarner une certaine idée du personnage réussi selon vous ?

Oui, parce qu’alors le personnage est VIVANT. Il n’est pas prévisible. Il surprend, on s’interroge, on veut comprendre. Tout s’anime.

Avez-vous un personnage préféré dans ce roman ?

Chaque personnage est mon préféré. J’entre dans sa tête, dans son cœur, dans ses contradictions. Je suis lui ou elle.

Cette quasi-saga familiale semble extraordinaire, romanesque, mais n’est-elle pas plus “ordinaire” qu’on l’imagine ? Est-ce que dans toutes les familles, les secrets, les rivalités, et autres trahisons ne sont pas répandues, notamment entre les générations ?

Vous avez tout à fait raison. Seul le décor change… et l’enjeu. Un riche vignoble ou une armoire normande déclenchent les mêmes rivalités, les mêmes jalousies, les mêmes rancœurs, rouvrent des blessures jamais guéries, issues de l’enfance.

« Un mot en plus, un mot en moins et le texte claudique ou s’écrase comme une crêpe. »

Katherine Pancol

Il me semble qu’une bibliothécaire a eu un impact sur votre amour des livres et sur votre curiosité en général : comment appréhendez-vous la notion même de transmission quand vous écrivez ? 

C’est très important pour moi. J’ai reçu beaucoup, je m’estime très chanceuse et je m’applique à partager, à transmettre avec une rigueur qui me fait sourire parfois ! Je prends cette tâche très au sérieux.

Vous avez un don pour trouver des titres accrocheurs, celui-ci était-il le titre de travail ?

J’avais un titre de travail que je trouvais fade, plat. Je savais qu’un autre allait tomber dans ma tête. Parfois, ils arrivent au début, parfois au milieu, parfois à la toute fin du livre. C’est un mystère. Ils se déposent dans ma tête comme une lettre qu’on glisse dans la fente d’une boîte et je les reçois, éblouie. Je me dis : “C’est ça, c’est exactement ça.” Et je gambade de joie !

Quelle place a la relecture dans votre travail ? Est-ce que vous avez tendance à beaucoup réécrire ?

Je réécris beaucoup, beaucoup. Râture, coupe, précise. J’aime ce travail d’horloger, précis, exigeant. Un mot en plus, un mot en moins et le texte claudique ou s’écrase comme une crêpe.

« Je voulais débusquer les mensonges, les secrets, les rêves fracassés, les illusions détruites. »

Katherine Pancol

Vous imaginez ce livre à l’écran ? 

J’ai une caméra dans l’œil quand je l’écris… Mais je n’aime pas beaucoup voir mes livres à l’écran. Pas du tout, même.

Que peut-on voir de vos obsessions dans cette histoire ? Et dans vos livres en général ?

J’ai toujours voulu aller voir “par derrière”. Depuis toujours. Enfant, je ne croyais pas les adultes. Je ne faisais jamais confiance aux apparences. Je voulais débusquer les mensonges, les secrets, les rêves fracassés, les illusions détruites. Et rien de mieux que la famille comme terrain d’enquête.

Écrivez-vous les romans que vous aimeriez lire ?

Ce qui est sûr, c’est que j’écris pour moi. Je me raconte des histoires. Comme lorsque, petite, j’avais du mal à m’endormir. Est-ce que je réussis toujours à atteindre ce que j’ai visé ? Je ne sais pas. Parfois, quand je reprends un de mes anciens livres, j’ai envie de le réécrire, de couper, de changer un mot. 

Pour finir, avez-vous un conseil de lecture pour cet été ?

Chaque été, je relis en salivant La Cousine Bette de Balzac… C’est une friandise qui n’a jamais perdu son goût !

La Mariée portait des bottes jaunes, de Katherine Pancol, Albin Michel, 2023, 742 p., 24,90 €.

À lire aussi

Article rédigé par