Cet album de 436 pages, en noir et blanc, sur les conditions de détention des condamnés à mort aux États-Unis vient de remporter le 5e Prix BD Fnac France Inter. C’est dire la gravité des temps. C’est dire aussi la réussite du travail de Valentine Cuny-Le Callet son autrice, qui a mis en images la relation épistolaire qu’elle entretient avec Renaldo McGirth, l’un d’entre eux, depuis 2016. Interview engagée.
Vous venez à peine de publier, chez Delcourt, Perpendiculaire au Soleil, votre premier roman graphique et vous obtenez le Prix BD Fnac France Inter ! Quels débuts !
Oui ! Quand j’ai commencé ce livre, je ne savais pas si j’allais parvenir à le publier. Alors recevoir un prix… Je ne m’y attendais pas du tout ! De plus, quand j’ai appris que le prix était conjointement attribué par le public et un jury professionnel de l’édition, ça m’a beaucoup touchée.
Perpendiculaire au Soleil relate l’histoire de votre correspondance avec Renaldo McGirth, qui a aujourd’hui 34 ans, condamné à mort en Floride où il est incarcéré depuis ses 18 ans. Vous avez entrepris cette relation épistolaire à 19 ans, car “personne ne devrait être condamné à mort”. Comment avez-vous été sensibilisée si jeune aux problématiques de la peine de mort ou des lieux de privation de liberté ?
À chaque fois que l’on pointe ma jeunesse, je pense à celle de Renaldo. Lui a été condamné à mort une semaine après avoir fêté ses 20 ans, soit deux ans après le début de son incarcération. C’est cette jeunesse-là que l’on devrait considérer. Mais oui, on peut parler de “télescopage de jeunesses”. Pour répondre plus précisément, c’est par l’image que j’ai été confrontée à ce problème – je le raconte dans le livre… Par exemple, quand j’ai vu la photo de Tom Howard, le photographe du Daily News qui a photographié pour la première fois une exécution par chaise électrique. J’avais 10 ou 11 ans et ça m’a beaucoup marquée. Ensuite, j’ai vu La Dernière Marche, puis plus tard encore j’ai rencontré des gens qui avaient été incarcérés. Mais, au tout départ, le déclic sur ces sujets a eu lieu par l’image.
Avant cette parution, vous aviez déjà publié en 2020 Le Monde dans 5 m2 (Stock), qui est la version écrite de cette rencontre épistolaire. Comment est né ce besoin de mettre en image votre histoire ?
En fait, j’ai écrit Le Monde dans 5 m2 avec un sentiment d’urgence… Mais les images ont dès le départ fait partie de ma correspondance avec Renaldo. D’ailleurs, l’idée de faire un album nous est venue juste avant la parution du livre chez Stock. Perpendiculaire au soleil est le prolongement dans le temps, et dans le sens chronologique et artistique, de la version écrite. Les images de Renaldo y apportent une réflexion que le récit seul ne pouvait rendre.
Et puis, même si j’ai fait la majorité des planches de l’album, il y avait une vraie signification à faire plus de place aux dessins de Renaldo. Il fallait trouver une sorte d’équilibre entre nous dans notre travail. On peut dire que les deux livres se complètent, d’ailleurs des professeurs de français au lycée font étudier les deux ouvrages ensemble pour aborder la notion d’image, d’adaptation, de réécriture… C’est incroyable !
Ce qui frappe avant d’ouvrir le livre, c’est sa taille ! Il y a 436 pages soit près de 430 planches… Quel travail !
En fait, nous n’avions pas de chemin de fer au début du projet… Nous avons écrit l’histoire au fur et à mesure. Et c’est le résultat de deux ans et demi de travail ! Pourtant, je ne pourrai jamais prétendre avoir tout dit sur le sujet. Ce n’est peut-être pas à moi de tout dire, d’ailleurs. Mais il fallait être généreux pour essayer d’explorer ces choses à fond. C’est ce que nous avons fait. J’ai fait ma part et, d’une certaine façon, cela m’a libéré de ce qui me brûlait, de ce qui brûlait mes tripes.
L’album est très fort graphiquement, très intense, avec des noirs très denses… Quelles techniques avez-vous utilisées ?
Il n’y pas eu de technique “assignée” au départ. On ne s’est limité sur aucune technique. Mais, au fur et à mesure, pour les besoins du récit, j’ai utilisé la gravure sur lino et sur bois pour tout ce qui était de l’ordre de l’imaginaire et du rêve. Alors que le crayon gras servait à la narration elle-même, au déroulé du récit, à ce qui relève de l’action ou de la reproduction d’images d’archives et de documents. Les images de Renaldo sont les seules à être en couleur. Il les a faites au crayon bille noir, au crayon et à la gouache.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pour travailler ensemble ?
Il faut savoir que la prison a une peur bleue des images. Il est par exemple très compliqué d’envoyer ou de recevoir des images. Certains plis ont été perdus, d’autres sont arrivés avec beaucoup de retard… Mais, d’une certaine façon, cela apportait de l’eau à notre moulin ! Aujourd’hui encore, Renaldo n’a toujours pas pu voir le livre. La plupart de mes envois qui contenaient des photocopies de pages m’ont été retournés. En plus de cela, depuis mai 2022, les prisonniers de Floride ne peuvent plus recevoir de lettres papier, la correspondance venant de l’extérieur est intégralement digitalisée.
Comment va Renaldo ?
Il va plutôt pas mal. Sa famille a pu lui rendre visite récemment et je suis allée le voir l’été dernier. Surtout, il vient de m’envoyer un très beau cadeau de Nouvel an : une peinture de la skyline de Chicago [où Valentine est partie étudiée en 2017, ndlr] ! Mais sinon, nous n’avons pas de nouvelle de sa “resentence” [Révision de sa sentence, sa condamnation à mort ayant été jugée inconstitutionnelle en 2016, ndlr].
Quels sont vos projets ?
Je suis actuellement en doctorat d’art plastique à la Sorbonne. Ma thèse traite de la pratique des arts plastiques dans le couloir de la mort aux États-Unis à la période contemporaine. Mais j’aimerais maintenant faire des ouvrages pour enfants… Même s’ils seront certainement plus colorés, ils ne seront pas moins politiquement engagés !
Perpendiculaire au Soleil, de Valentine Cuny-Le Callet et Renaldo McGirth, Delcourt/Encrages, 2022, 436 p., 34,95 €.