[Rentrée littéraire 2023] Laurène Daycard, journaliste spécialiste des féminicides, publie un récit-enquête nécessaire sur les auteurs et les victimes de violences conjugales en France.
145. C’est le nombre de femmes tuées par leur mari ou ex-conjoint en France cette année, et c’est un chiffre devenu tellement banal, tellement normal, qu’on en oublie presque que derrière ces chiffres se trouvent de vraies personnes, avec des objectifs, des rêves et des vies, tuées parce qu’elles étaient femmes, et parce que des hommes considéraient qu’elles leur appartenaient, préférant leur ôter la vie plutôt que d’accepter d’être quittés.
Les féminicides, tels que les présente Laurène Daycard, ne sont pas des « crimes passionnels », mais bien des « crimes de possession », présidés non par l’amour, mais par l’orgueil, l’ego, la haine et la domination. Ils révèlent comment une femme – et le possessif « sa femme » à la différence de « son mari » l’indique très bien – peut pour beaucoup d’hommes être considérée comme un bien, une possession, un objet, dont ils ne sont pas prêts de se défaire.
Des violences qui touchent toutes les classes sociales
Elle montre ainsi que les violences conjugales, contrairement aux idées répandues, touchent toutes les classes sociales, élargissant le spectre des violences conjugales aux violences verbales et psychologiques également. Elle permet ainsi d’interroger ce qu’il y a derrière tout cela : il règne en matière de violences conjugales une grande impunité qui leur permet de se perpétuer. Pourquoi un homme se permettrait-il d’être violent envers sa conjointe s’il risquait gros ? En réalité, dans la majeure partie des cas, il ne lui arrivera rien.
Avec ce récit-enquête, Laurène Daycard milite pour une meilleure prise en charge des victimes, des familles de victimes, mais aussi des conjoints violents par l’État et les groupes de sensibilisation aux violences conjugales. L’objectif : les mener vers une prise de conscience et de responsabilisation censée les empêcher de récidiver, quand un changement est encore possible. Au sein de ces groupes, chaque homme fonctionne comme un « miroir » pour l’autre, qui lui permet, dans le meilleur des cas, de prendre conscience de sa violence et de la gravité de ses gestes afin d’éviter de les répéter.
Elle prône également un meilleur traitement journalistique de ces affaires, au-delà des titres de presse provocateurs et sensationnalistes, car ce sont de vies humaines dont il est question – et non de choses risibles.
Une société dans laquelle il est possible de tuer des femmes est une société qui les méprise
Ce que les féminicides révèlent, c’est bien une société qui reste en grande partie misogyne, dans laquelle la domination masculine peut aller jusqu’au meurtre. Comment se peut-il que des auteurs de violences conjugales puissent continuer à vivre avec leur conjointe ou entrer en contact avec elle ? Bien souvent, ces affaires ne sont pas assez bien prises en charge par la police, ces hommes ne sont pas suffisamment accompagnés vers des suivis psychologiques, avec de vrais processus pour comprendre comment ces crimes peuvent avoir lieu et être endigués, car ils se déroulent au sein même de la sphère intime. Il faut donc prendre le problème à la racine et, pourquoi pas, comme dans les centres dont elle parle à la fin de son livre, proposer des cours de sensibilisation à la violence conjugale dès l’école.
Ce récit-enquête finement mené, entremêlant récit personnel et témoignages, permet donc de dresser un état des lieux des crimes perpétrés contre les femmes en France, et ailleurs dans le monde ; de donner un portrait juste de ces hommes violents ; de raconter l’histoire de ces femmes, en leur rendant ainsi leur identité ôtée ; et enfin de proposer des solutions concrètes pour endiguer ces violences.
Que faut-il faire désormais, selon Laurène Daycard ? Durcir les lois. Protéger les femmes. Accompagner ces hommes vers une véritable transformation. Sensibiliser dès le plus jeune âge aux violences…
Un livre essentiel qui permettra sûrement de faire bouger les lignes vers une société plus égalitaire et plus respectueuse du corps et de la vie des femmes.
Nos Absentes. À l’origine des féminicides, de Laurène Daycard, Seuil, 250 p., 20 €. En librairie le 13 janvier 2023.