Son palmarès est phénoménal : à peine 32 ans et déjà 17 ans de carrière, cinq albums, une dizaine de films, deux Victoires de la musique et un César. Izïa Higelin ne cesse d’éblouir et de surprendre.
Artiste éclatante aux multiples facettes, elle monte sur scène pour la première fois à 16 ans ; depuis, elle ne cesse de se réinventer. Chacun de ses concerts est un tourbillon rock ardent qui ne laisse personne de marbre. Son dernier album, La Vitesse, est une invitation à faire ce qu’elle fait de mieux : tracer sa route.
En juin dernier, vous sortiez votre cinquième album La Vitesse – qui arrive dans un contexte particulier, après des années de Covid, une tournée avortée, le décès de votre père, Jacques Higelin, mais aussi la naissance de votre enfant. Ça fait beaucoup, non ?
Oui, beaucoup d’émotions. Mais ce disque n’aurait pas existé en tant que tel sans ce contexte, justement. Je n’aurais pas autant produit et expérimenté si j’avais été sur les routes, en tournée… Ça n’aurait pas été le même album. J’avais, plus que d’habitude, une envie de vie, de pop, une envie folle de pousser les limites.
On est parti avec Bastien Burger s’isoler cinq semaines à la campagne, à la Frette Studios. En immersion totale, on a pu pousser les limites de la production et de tout ce que je voulais faire ou tester. C’est un album beaucoup plus énergique que Citadelle, le précédent.
C’est vrai que Citadelle était plus mélancolique, comme une carte postale adressée depuis Calvi à votre défunt père. Vous offrez aujourd’hui un cocktail plus détonant. Vous semblez opérer un glissement vers la pop, mais peut-on vraiment vous mettre dans une case ?
Avec La Vitesse, on voulait s’inscrire dans une autre histoire ; c’est un album qui bouge, qui danse, chaque morceau a une identité très forte. D’où l’importance d’ailleurs de prendre le temps d’écouter l’album dans sa globalité et non pas comme ça se fait maintenant où beaucoup écoutent juste un ou deux titres, et zappent, sans prendre en compte la cohérence globale d’un projet.
Quand on écoute le disque dans sa globalité avec des titres comme Étoile Noire, Tristesse, La Vitesse, on fait de la pop-rock ; avec Dehors c’est la vie c’est quasiment de la techno berlinoise sur scène. D’ailleurs, c’est un morceau qui prend une ampleur très forte en concert, avec une énergie qui reste rock. Mon cœur est un titre pop-dansant, Pura Vida a des sonorités latinos… C’est un projet complet. Sur la pochette, j’ai eu envie d’avoir une photo très iconique à l’image du rock des années 1980. C’est le type d’album qui pousse à la curiosité, à avoir une écoute bienveillante.
Pour revenir sur Mon cœur, il y a une ambiguïté sur le sens de ce titre… Il raconte quoi ce morceau, au juste ?
Il raconte un cri du cœur, quelque chose de physique. Je l’ai composé à Carantec, en Bretagne, où j’étais confinée. À cette période, il y a eu l’agression de Michel Zecler par la police dans son studio. Les images étaient d’une violence absolue. On était en plein dans la période où les rayons culture des magasins étaient bâchés et on nous disait qu’on était “non-essentiel”.
Le couvre-feu, puis le re-confinement… On était assailli par des injustices et j’étais en colère. J’avais l’impression que j’allais exploser. Plus la tournée annulée, l’incertitude, la vie… Je m’adresse au premier degré à mon cœur pour l’apaiser :
« Et ton battement s’accélère
J’vais finir par te perdre, mon cœur »Izïa HigelinMon cœur
C’est un texte qui s’adresse à l’organe, mais aussi à mes élans de colère, d’injustices, de frustrations.
Finalement, c’est un morceau véhément ?
Malgré les airs pop, c’est un morceau énervé. On pourrait croire que je parle de quelqu’un, mais c’est là tout le double sens. Je ne m’adresse pas à quelqu’un, je me parle à moi en disant :
Calme tes ardeurs, reprends des couleurs
Izïa HigelinMon Coeur
L’ensemble du disque est pensé comme ça, en fait.
Justement, en parlant d’écriture, le processus est très différent selon les artistes : c’est quoi, la recette d’Izïa Higelin ?
Souvent, c’est un petit air que je pose sur un piano. Sur cet album en particulier, on a vraiment travaillé main dans la main avec Bastien Burger, qui m’accompagne depuis plusieurs années. Parfois, il me propose une production qu’il a composée et quand ça m’inspire je pose des textes dessus.
Sinon, j’ai une idée en tête, un thème que j’ai besoin d’exprimer et je pars de ça pour construire tout autour. Par exemple, dans la chanson Folle, c’est un morceau très personnel sur la vision qu’on a des femmes qui suivent leurs désirs pleinement. On m’a souvent taxée de folle, car certaines personnes ne dépassent pas la première image, ne creusent pas.
Dans la période qu’on traverse, c’est important de prendre en considération les personnes dans leur entièreté, avec leurs traumatismes et leurs histoires.
Pensez-vous qu’après la période Covid, le regard qu’on porte les uns sur les autres a changé ? Qu’on est plus bienveillants ?
Suite à ce drame collectif qu’on a traversé ensemble, j’ai le sentiment qu’il y a plus d’indulgence et d’empathie. Dans un de mes textes j’écris :
« Je m’enfuis la nuit dans mes secrets »
Izïa Higelin
On ne sait pas tout, on ne sait pas ce que l’autre traverse dans sa vie. J’ai envie de parler de ces épreuves, de ces traumatismes qu’on traverse seul. Quand j’écris “Le temps qui passe c’est le remède à la vie”, c’est aussi une façon de me rassurer et d’y voir une issue. Quand j’ai pensé à ce bout de texte, je regardais le ciel en pensant à Papa. Idem dans La Vitesse :
« La route est longue jusqu’au dernier virage. »
Izïa HigelinLa Vitesse
Il peut se passer plein de choses dans la vie, ce sont aussi des messages que je m’adresse pour m’apaiser.
Diriez-vous que votre musique est comme une thérapie, un exutoire ?
Parfois, je me sens vide, bloquée, mais je sais aussi que rien n’est jamais terminé pour toujours, tout passe, il faut aller de l’avant. Oui, c’est presque une thérapie, ça me console et ça fait danser.
Tout mon dernier album est à double sens. La Vitesse, ça veut aussi dire que je trace, que je ne vais pas rester là à crever. C’est un message quand je déprime.
À l’inverse, c’est aussi me rassurer sur tout ce qui a déjà été accompli. Je n’ai que 32 ans et plus de 15 ans de carrière. Tous mes textes sont des mots pour moi, mais “appropriables” par toutes et tous, car on traverse les mêmes choses, très universelles, et on prend le sens qu’on a envie de leur donner.
On vous a souvent comparé à Janis Joplin ou à Patti Smith. Qui sont les autres artistes qui vous inspirent et vous caractérisent ?
J’adore les morceaux de Beyoncé dans les années 2000, Lady Gaga, Miley Cyrus… Le guitariste et YouTuber Wax m’avait dit : “Tu es un peu notre Miley Cyrus française”. Dans l’absolu, sans comparer nos carrières, mais le positionnement, c’est un peu vrai. Elle vient de la country, après elle a fait de la pop, puis on la retrouve avec les Flamming Lips sur des projets complètement psychédéliques. C’est quelqu’un qui est multiple aussi.
C’est une façon de parler, mais j’ai cette liberté, de changer d’univers. En France c’est compliqué de sortir de sa “zone”, on nous fout dans des cases. Mais c’est important de s’écouter et de faire ce qu’on a envie de faire. Nathy Peluso, qui est dite rappeuse, vient de sortir un album mi-pop, mi-salsa, c’est brillant, et ça cartonne.
Je pensais que ce serait plus simple d’être multiple, j’ai l’impression d’être difficile à suivre.
Vous êtes si multiple qu’on vous voit même au cinéma. Notamment dans Loin du périph, le plus gros carton Netflix français.
Il y a eu une grande pause avec le Covid, mais je viens de tourner dans un film réalisé par Denis Imbert qui sort le 22 mars prochain : Sur les chemins noirs, adapté d’un livre de Sylvain Tesson. On m’y retrouvera dans le rôle de la sœur de Pierre, le personnage principal interprété par Jean Dujardin.
Ensuite, je commence le tournage d’un très beau film de Blandine Lenoir, dont je suis très fière. Je reprends ma carrière d’actrice, je me sens légitime dans ce rôle de comédienne. Je ne me prends vraiment pas la tête, j’ai l’impression que les autres se posent milles questions à ma place. Alors que je fais mon rock, ma pop, sur scène comme je veux, sans trop réfléchir. Je me sens libre. Je ne veux rien m’interdire, c’est génial de ne rien s’interdire, de savoir qu’on peut tout faire. On a le droit de tout faire !
Vous avez de très nombreux concerts et festivals prévus dans toute la France, dont une date au Zénith de Paris en 2023. On fantasme beaucoup sur la vie des artistes sur les routes, c’est comment la tournée quand on est jeune maman ?
Je ne suis vraiment pas fun, toujours la première couchée… pas drôle du tout ! J’ai la chance de pouvoir emmener mon fils qui adore ça et qui s’adapte. Il amène vraiment une bonne ambiance, on passe des moments complètement fous, je lui offre des souvenirs.
Quand je le vois, je me revois sur scène, petite, lorsque j’accompagnais mon père. C’est des moments magiques. Sinon, on travaille beaucoup, on prépare toujours l’étape d’après, comme un perpétuel recommencement.
Vous avez déjà une longue pratique de la scène, quelle a été votre première scène ?
J’avais 15 ans, c’était au Printemps de Bourges. D’ailleurs, on y retourne cette année ! Il y a aura aussi plein d’autres festivals. C’est génial de se dire que j’ai déjà accompli tout ça, si jeune, et que j’ai encore tellement de choses à faire.
Parfois, je me sens frustrée en me disant que ça n’avance pas, que c’est lent. Puis je prends du recul et je me dis que j’ai déjà fait beaucoup ! J’ai avancé très vite, finalement, je me dis que la vie est tellement longue et que j’ai encore beaucoup à faire.
Et qu’avez-vous sur le feu, en ce moment ?
En ce moment on tourne le clip pour Étoile noire, pour lequel on s’inspire d’une esthétique vintage. Mais on prépare surtout une date au Zénith de Paris pour 2023. Ça va être dingue. Il y aura Terrier en première partie, qui est aussi avec nous sur scène.
Ensuite, on enchaîne sur les festivals, donc pour 2023 je suis déjà bien occupée. On ne va pas s’ennuyer !
Izïa Higelin sera sur scène, dans toute la France, du 18 janvier au 9 février 2023.