Avec chaque innovation technologique arrivent de nouveaux termes et expressions, généralement en anglais. Comment les adapter en français et les faire adopter au plus grand nombre ? L’opération n’est pas simple.
En mai dernier, la commission d’enrichissement de la langue française avait publié une liste d’alternatives à plusieurs anglicismes du milieu du jeu vidéo. Ainsi, streamer devenait joueur en direct et l’esport du jeu vidéo de compétition. Des traductions qui n’ont pas convaincu, en particulier les premiers concernés par ces termes.
Périphrases, mots-valises et néologismes
Le point commun entre ces deux adaptations, c’est qu’elles transforment un terme en périphrase. Cela rend son utilisation beaucoup plus lourde, donc difficile à répéter au cours d’un paragraphe ou d’une conversation. Remplacer un mot anglais par une explication en français est acceptable pour des textes officiels, mais elle ne sera pas adoptée dans d’autres contextes moins formels.
De l’autre côté de l’Atlantique, les Québécois sont plus adeptes du mot-valise : le spam devient du pourriel (pourri + courriel) et le freeware un gratuiciel (gratuit + logiciel). Ceux-là ont l’avantage d’être plus courts, donc de passer plus facilement dans une conversation. Cependant, cette solution n’est pas parfaite et les Québécois se débattent aussi avec de nombreux termes anglais.
Pour trouver un mot plus classique mais toujours d’actualité, il faut regarder du côté de l’ordinateur. Ce terme a acquis son sens moderne en 1955 grâce au latiniste et philologue français Jacques Perret, qui devait trouver un nom au computer qu’IBM était sur le point de mettre en vente. N’étant pas satisfait par congesteur, digesteur et synthétiseur, il se tourna vers le mot latin ordinator, celui qui met de l’ordre. Il avait même proposé d’appeler la machine une ordinatrice, mais c’est la forme masculine qui a été acceptée.
Parmi toutes ces solutions, c’est le néologisme le plus éloigné du terme anglais initial qui a été le plus largement adopté par les francophones. Il ne suffit donc pas de faire une périphrase ou un amalgame de plusieurs mots pour que ça remplace efficacement un mot en anglais.
Trouver les mots justes
Pourquoi faire adopter un mot francisé est-il aussi difficile ? Aujourd’hui, les principaux réseaux sociaux sont américains, les films et séries les plus regardés (en VO, bien sûr !) le sont aussi, donc la majorité des Français sont exposés quotidiennement à du contenu en anglais dans leur temps libre. C’est d’autant plus le cas chez les jeunes qui lisent moins les journaux et regardent peu la télévision. L’anglais est la langue de prédilection pour tout ce qui concerne l’informatique et les jeux vidéo : connaître un jargon spécifique dans cette langue permet de se faire comprendre (presque) partout dans le monde alors que des francisations auront une utilisation bien plus limitée.
Ajoutons à cela le fait que l’Académie française a mauvaise réputation : en n’étant pas représentative de la population française (29 hommes et 6 femmes) et n’ayant approuvé la féminisation des noms de métiers qu’en 2019, elle n’est pas vue comme précurseure de l’évolution de la langue française mais, au contraire, comme une institution constamment en retard sur son temps. Ses décisions ont perdu en légitimité auprès des Français.
Dans ces conditions, comment mettre plus de français dans le vocabulaire technologique et vidéoludique ? Peut-être en rendant le processus plus ludique, justement. Montrer que créer un mot est à la portée de n’importe qui, que le latin et le grec ancien ne sont pas des « langues mortes » mais des listes sans fin d’ingrédients pour néologismes, et que la langue française n’est pas une tour d’ivoire, mais un terrain de jeu.
En réponse à l’expression joueur en direct, plusieurs personnes sur Twitter ont par exemple proposé fluxeur : un stream c’est un flux (de données, de vidéo…), un streamer est donc un fluxeur, tout simplement. Tentative réussie ou non, ce sont les streamers/joueurs en direct/fluxeurs et leurs communautés qui auront le dernier mot.