The Girl From Plainville : Les Liaisons dangereuses 2.0

Il y a un smiley qui rit au milieu de la phrase. Un point qui suit un « bonne nuit » tout en minuscule. Là, un point d’exclamation ? Il se moque de moi ? Elle fait la gueule ? Qu’est-ce qu’il a voulu dire ? L’incompréhension que sèment certains messages va parfois jusqu’à troubler le sommeil. Plus encore quand on cherche à lire les échanges des autres. Lorsque certaines personnes peu assurées lisent dans le téléphone de leur partenaire des mots joueurs qu’ils comptent pour suspect, elles trouvent ce qu’elles voulaient voir.

Quelques foutus caractères mal accolés les uns aux autres, mal amenés, lus en décalage, mis en perspective avec une humeur aléatoire et la crise est consommée. Un télégraphique et compressible langage vivant en constante évolution dont les paramètres varient d’une conversation à l’autre. Une langue qui veut se suffire à elle-même, mais ne pourra jamais tout révéler. La lettre d’antan aimait s’épancher. On s’y confiait comme à nul autre endroit du monde. Le SMS d’aujourd’hui adore l’instantanéité, la spontanéité, l’efficacité. Il faut savoir condenser, quitte à bafouer ses propres sentiments.

Mais, à l’instar de ses ancêtres encrés, il ouvre les portes d’un espace intime entre deux interlocuteurs, qui, par écrans interposés, s’unissent autant qu’ils s’isolent. Michelle Carter, cette adolescente américaine de 17 ans, a-t-elle, par SMS, poussé au suicide son petit copain de 18 ans, Conrad « Coco » Roy, en juillet 2014 ? Tragédie moderne pour une épineuse question à laquelle la vertigineuse série Hulu The Girl From Plainville, diffusée en France sur Starzplay à partir du 10 juillet, tente de répondre.

Drague et dépression par SMS

Le 13 juillet 2014, Conrad Roy, 18 ans, est retrouvé mort dans son camion sur le parking d’une grande enseigne américaine à Fairhaven, dans le Massachusetts. Il s’est asphyxié et empoisonné au monoxyde de carbone. Ses derniers échanges, ce sont des messages avec Michelle Carter, qu’il considérait comme sa petite amie. Les deux jeunes se sont rencontrés en Floride deux ans auparavant. Ils ne se sont vus que quelques fois, mais ils s’écrivaient avec assiduité : du programme de la journée aux états d’âme d’enfants englués dans le mal-être, d’une drague sans complexe à des confidences malheureuses, la relation oscille entre la lumière de l’amour et l’obscurité d’une adolescence en quête d’un chemin à suivre.

Les deux font face à des pathologies mentales : anorexie, dépression, anxiété… Elle a déjà été internée, il a déjà fait une tentative de suicide. La mort devient un sujet dans leurs échanges. Leur mort. Jusqu’au suicide de Coco.

The Girl From Plainville entend remonter le fil des événements pour comprendre une affaire qui a marqué l’ensemble des États-Unis. Les épisodes alternent, à partir de la découverte du corps de l’adolescent, le passé avec leur relation et le présent, l’enquête, l’incompréhension des familles…

L’intense et magnétique acteur Colton Ryan prête ses traits à Conrad. « J’ai le même âge que Coco, celui qu’il aurait aujourd’hui, nous confie-t-il. J’ai vu une photo du jour de son diplôme de lycéen. Il est entouré de ses deux sœurs avec la robe et le chapeau emblématiques. J’ai exactement la même, sauf que la couleur de ma tenue est différente et que je suis entouré de ma sœur et de ma mère. Cette photo, ça m’a pris aux tripes. Il fallait que je prenne part à ce projet. C’est notre histoire à tous, c’est chacun de nous. »

Face à lui, Elle Fanning, copie conforme de Michelle Carter. La série prend le parti pris de mettre en scène des dialogues entre eux pour personnifier leurs échanges SMS. Ce qui est virtuel apparaît aux yeux du spectateur, comme c’était le cas pour les deux amoureux : tout ce qu’il y a de plus réel et concret. Pour cette génération, un échange SMS compte autant, sinon plus qu’une véritable entrevue : invisible aux yeux de tous, cette connexion palpite de n’exister que pour eux.

Soutenir sa fille et faire des petits-déjeuners

Comment interpréter ces messages ? Quel rôle a joué Michelle Carter dans la démarche de Conrad Roy ? C’est la procureure Katie Rayburn qui a mené l’enquête dans un État, le Massachusetts. Et c’est bien là toute la difficulté de l’affaire : le suicide assisté n’y est pas illégal. Serait-ce un homicide involontaire ? Comment le prouver ?

« Cette affaire est un exemple de ce que nous affrontons dans notre société quand il s’agit d’interagir à travers des écrans et non plus en face à face. Ça crée une forme de dissociation de l’humanité lorsque l’on écrit plutôt que de parler », réagit l’actrice Aya Cash, connue pour la série You’re the Worst, et formidable dans le rôle de Rayburn.

Il y a donc la rencontre, l’enquête, le quotidien des familles dévastées. Et, en creux, le problème de la prise en charge des jeunes en proie aux troubles mentaux. Cara Buono joue la mère de Michelle Carter, une mère qui, dans la réalité, a soutenu de bout en bout sa fille malgré des preuves contre elle devenues accablantes. « Je comprends Gail Carter, j’ai une fille aussi. En tant que mère, on cherche toujours à faire le mieux possible pour les enfants », confie-t-elle.

Un rôle finalement à l’opposé de celui qu’elle tient dans Stranger Things, où elle est aussi une maman, celle de Mike et Nancy. Elle détaille : « Karen Wheeler est une maman des années 1980 qui ne se rend pas compte de grand-chose ! C’est une bonne mère simplement parce qu’elle fait le petit-déjeuner. D’un côté, il y a le monde à l’envers et les monstres, de l’autre, une situation réelle et tragique qui pose la délicate question de la santé mentale des adolescents. »

La fièvre des réseaux sociaux, l’obsession de la vie des autres, la traversée de la frontière entre réalité et fiction, la rencontre de classes sociales, les parents paumés… The Girl From Plainville pose là les bases du monde adolescent torturé dépeint dans Euphoria. Et réussit à traiter une affaire des plus sensibles.