Il y a 40 ans, ce nouveau genre déboulait dans les clubs de Détroit, aux États-Unis. À l’occasion de la Marche des fiertés LGBTQIA+, qui se tient ce samedi 25 juin à Paris, retour sur un phénomène musical qui n’en finit pas de séduire et de se réinventer.
Faut-il vraiment, pour aller en soirée techno, une tenue sombre, des lunettes noires vissées sur la tête et une gestuelle mécanique ? C’est en tout cas l’idée que les novices se font de cet univers « boom boom » qui serait réservé à une minorité d’experts. Mais la musique électronique obéit-elle à des codes stricts et à des sonorités dont seule une poignée d’aficionados pourrait profiter ?
La techno est en réalité devenue un véritable phénomène mondial. Importé de Détroit dans les années 1980 avant de conquérir l’Europe à partir de 1990, le genre est en effet de plus en plus populaire – et ses artistes défendent des valeurs plus bien inclusives que les videurs des boîtes de nuit huppées. Surtout, depuis les années 2010, la techno a quitté le cadre des soirées confidentielles pour investir les festivals – preuve supplémentaire de sa puissance et de son impact sur la scène musicale actuelle.
Aux origines de la techno
Les origines de la techno sont multiples. Certains l’associent aux américains Robert Moog et Wendy Carlos, ou encore à la musique étrangement moderne pour les années 1970 du français Richard Pinhas.
Si aujourd’hui Berlin est considérée comme l’une des capitales de la techno, c’est notamment parce que la ville allemande a vu naître le groupe Kraftwerk. Assisté des musiciens Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson, ce quatuor a en effet joué un rôle non négligeable dans l’émergence du genre. Le groupe a connu un succès considérable outre-Atlantique, dans les clubs de Détroit, avant d’investir des labels comme Metroplex ou Transmat, puis de s’affranchir des frontières.
À la même époque, le terme « techno » se démocratise – et son sens se précise. Si les producteurs l’utilisent, au début, pour évoquer « la house », « la techno-pop » et parlent d’avant-garde de la pop futuriste, il faudra attendre 1988 et la compilation Techno! The New Dance Sound of Detroit pour que le mot prenne le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.
De Détroit à Paris : la techno au-delà des frontières
À ses débuts, la techno est symbole de nouveauté ; son succès coïncide aussi avec l’arrivée d’Internet et le développement du numérique. On assiste alors à une véritable effervescence, à partir des années 1990, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni. Les fêtes plus ou moins légales s’organisent et des clubs comme l’Hacienda à Manchester ou le Trésor à Berlin émergent, tandis que les sous-genres comme l’acid techno ou le hardcore apparaissent, influencés notamment par les gabbers néerlandais.
Après avoir vu naître l’un des groupes fondateurs de la techno, Berlin devient dans les années 1990 l’épicentre culturel du genre. Néanmoins, cette fièvre dansante ne va pas tarder à gagner Paris et ses boîtes de nuit, comme le Rex Club. Daft Punk, Laurent Garnier, Étienne de Crecy… Ces papes de la techno baptisent les foules de nombreux tubes, jusqu’à fonder la French Touch, dont Justice, Anetha ou encore Antigone sont les dignes héritiers.
Aujourd’hui, la France est en mesure de concurrencer l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Car on assiste, depuis le début des années 2010, à un véritable retour en force de la techno française ! Les DJ internationaux jouent dans les salles parisiennes, tandis que les boîtes de nuit et soirées dédiées à la techno se développent dans tout l’hexagone, de la regrettée Concrète jusqu’au Sucre lyonnais.
Plus que de la musique électronique
À l’origine, le genre cristallise la peur du futur post-industriel et l’insécurité grandissante de la fin des années 1980, tout en se développant dans les milieux plus modestes. D’abord perçue comme un symbole de rébellion, la techno est, de nos jours, davantage un facteur d’identification et d’inclusion.
Elle dépasse en effet le simple cadre créatif pour défendre des valeurs de tolérance et d’engagement. À travers les rassemblements tels que la Techno Parade de Paris ou la Love Parade en Allemagne, les participants manifestent souvent en faveur de la sympathie et de la charité, tandis que certains concerts peuvent avoir des élans plus politiques. Ce fut le cas de Laurent Garnier avec le closing « La jeunesse emmerde le Front national » lors des élections présidentielles de 2017. Tout récemment, les Casual Gabberz n’ont pas hésité à afficher leur soutien à Jean-Luc Mélenchon et à appeler au vote à l’occasion de leur clôture au Trabendo, à Paris, pour les dernières législatives.
Le sort des réfugiés, la lutte contre la pauvreté ou encore l’écologie sont aussi des valeurs concrètes défendues durant ces différents événements, héritiers des années hippies et des courants culturels afro-américains.
Mais, au-delà de sa dimension politique, la techno célèbre aussi la communauté sur la piste de danse. Une idée que Laurent Garnier a développée dans son livre Électrochoc (2013), co-écrit avec David Brun-Lambert. Pour lui, la techno réunit « un nombre important de gens, tous habités par la même fascination pour les émotions que la musique peut provoquer, tous défenseurs de cette foi, tous conscients de la magie contenue autour d’une piste de danse ».
C’est pour cette raison que l’hédonisme et l’univers de la techno sont intrinsèquement liés. Une utopie festive qui allie convivialité, sensations fortes (notamment à travers la prise de drogues comme l’ecstasy) et lieux inédits.
Un genre en perpétuel mouvement
La techno se veut donc le reflet d’une liberté autant que l’union de personnes d’horizons différents, regroupées par la passion d’une même musique. Un éclectisme que l’on retrouve jusque dans le style vestimentaire des fans de techno. Alors que des discothèques telles que le Berghain de Berlin favorisent un style de couleur plus sombre emprunté au mouvement gothique, le fluo, tout comme les tenues plus légères, sont également de mise en soirées.
Cette ouverture est d’autant plus criante aujourd’hui, puisque la techno s’exporte au Japon, en Afrique du Sud ou en Amérique du Sud. On assiste aussi à une multiplication des festivals consacrés au genre et on voit que sa présence se démocratise lors d’événements populaires, mais aussi que les plateformes musicales enregistrent des écoutes importantes liées à la techno. Bien qu’elle existe principalement grâce aux clubs et aux scènes, chaque année, la programmation électronique s’agrandit. Des festivals comme le Sonar à Barcelone, le Lovebox d’Angleterre, Tomorrowland en Belgique ou encore l’Amnesia d’Ibiza ont ainsi lieu depuis plusieurs années. Quant à We Love Green, les Solidays ou encore le Delta Festival, ils programment de plus en plus d’artistes issus de la scène électro.
Ces riches propositions rendent donc le genre particulièrement influent aujourd’hui. Il draine chaque année de nouveaux artistes, ainsi qu’un nouveau public prêt à taper du pied, sur plusieurs générations, attiré par la modernité des sons, mais aussi les valeurs que défend cet univers. Un véritable phénomène culturel, vieux de 40 ans, qui a encore de belles années devant lui !