Auteur, dramaturge, cinéaste… Marcel Pagnol est une figure incontournable de la culture française. Alors que l’on célèbre les 130 ans de sa naissance et que le film d’animation Marcel et Monsieur Pagnol est attendu en salles, nous vous proposons une plongée dans son œuvre littéraire. Une occasion unique de redécouvrir les trésors d’un patrimoine qui sent bon le thym et le soleil de Provence.
Qui était vraiment Marcel Pagnol ?
Né à Aubagne le 28 février 1895, Marcel Pagnol est bien plus que l’écrivain des collines du Garlaban. Fils d’instituteur laïc et d’une couturière aimante, il grandit entre la ville et la campagne, un dualisme qui nourrira toute son œuvre. Après de brillantes études qui le mènent à l’agrégation d’anglais, il enseigne quelques années avant que sa véritable vocation ne le rattrape.
C’est à Paris qu’il connaît ses premiers triomphes, au théâtre. En 1928, sa pièce Topaze est un immense succès, rapidement suivi par la légendaire Trilogie marseillaise. Mais Pagnol est un visionnaire. L’avènement du cinéma parlant le fascine. Il comprend que cet art nouveau offre une puissance inégalée pour raconter des histoires. Loin de se contenter de céder les droits de ses pièces, il fonde ses propres studios de cinéma près de Marseille en 1934. Il devient ainsi auteur, producteur et réalisateur, maîtrisant toute la chaîne de création pour porter à l’écran sa vision. Élu à l’Académie française en 1946 – le premier cinéaste à y entrer –, il ne reviendra à l’écriture romanesque que plus tard, offrant au public ses inoubliables Souvenirs d’enfance.
De la Provence à Marseille : les grands cycles romanesques de Pagnol
L’œuvre de Marcel Pagnol est profondément ancrée dans le paysage et les traditions du Sud de la France. Ses romans et pièces de théâtre nous transportent dans un univers où le drame côtoie l’humour, et où des personnages hauts en couleur dépeignent une humanité touchante et universelle.
Les Souvenirs d’enfance : le paradis retrouvé
Ce cycle autobiographique est sans doute le plus lu et le plus aimé de Pagnol. C’est une chronique tendre et drôle de l’innocence, une véritable machine à remonter le temps.
Dans La Gloire de mon père, le récit s’ouvre sur les premiers pas du jeune Marcel, mais c’est surtout le portrait lumineux de son père, Joseph, instituteur humaniste et figure tutélaire, qui domine ce premier tome. On y découvre les joies simples des vacances, les premières grandes chasses à la bartavelle et la fierté d’un fils pour son père.
Le deuxième volet, Le Château de ma mère, est empreint d’une douce mélancolie. Il raconte l’amitié fusionnelle avec Lili des Bellons, le petit paysan qui connaît les secrets des collines, mais aussi la figure douce et fragile de sa mère, Augustine. Le « château » symbolise à la fois les obstacles de la vie et la fin brutale de l’innocence.
Le Temps des secrets… L‘adolescence arrive avec son lot de bouleversements. Marcel découvre les premiers émois amoureux, les rivalités et les petites trahisons. C’est le temps où l’on se forge, où l’on garde pour soi les secrets qui nous construisent.
Le Temps des amours a été publié à titre posthume. Ce recueil inachevé nous livre les dernières pépites de cette enfance chérie, achevant de peindre le tableau d’un paradis perdu à jamais mais rendu éternel par la magie de l’écriture.
L’Eau des collines : la tragédie de la terre
Avec ce diptyque romanesque, Pagnol change radicalement de registre. La tendresse des souvenirs laisse place à un drame rural d’une intensité quasi-biblique, où la nature provençale devient le théâtre des passions humaines les plus sombres.
Jean de Florette est l’histoire d’un rêve brisé. Jean Cadoret, un percepteur bossu et citadin, hérite d’une ferme et s’y installe avec sa femme et sa fille, Manon. Idéaliste, il veut vivre de la terre. Mais ses voisins, le vieux César Soubeyran, dit « le Papet », et son neveu Ugolin, convoitent sa source. Ils la bouchent en secret, condamnant le projet de Jean et l’homme lui-même à une fin tragique.
Les années passent et Manon est devenue une belle et sauvage gardienne de chèvres, vivant en marge du village. Ayant découvert le crime des Soubeyran, elle accomplit une vengeance implacable en détournant l’eau qui alimente tout le village. Ce geste provoquera une onde de choc qui révèlera les plus lourds secrets. Manon des sources est une œuvre magistrale sur la faute, la fatalité et la justice immanente.
La Trilogie marseillaise : le cœur battant du Vieux-Port
Initialement pièces de théâtre, Marius, Fanny et César sont le sommet de l’art du dialogue de Pagnol. L’intrigue, centrée sur l’amour contrarié entre Marius, qui rêve de partir en mer, et Fanny, qui l’aime plus que tout, est un prétexte à une formidable galerie de portraits. L’action se déroule presque entièrement dans le Bar de la Marine tenu par César, le père de Marius, un homme au cœur d’or et à la mauvaise foi monumentale, capable de répliques cultes comme « Tu me fends le cœur ! ». C’est une peinture vivante et truculente de Marseille, une comédie dramatique sur les choix qui définissent une vie.
Des personnages plus grands que la vie
Pagnol excelle à créer des personnages inoubliables, dont les histoires, souvent adaptées de ses films, explorent les grandeurs et les petitesses de l’âme humaine.
Premier succès théâtral de Pagnol, Topaze témoigne de la transformation d’un modeste et honnête instituteur renvoyé pour son intégrité, en un homme d’affaires cynique et richissime. Une satire sociale féroce sur le pouvoir corrupteur de l’argent.
Quand la jeune et jolie Femme du boulanger s’enfuit avec un berger, le boulanger, le cœur brisé, entame une grève du pain. Tout le village, privé de son aliment de base, va se liguer pour retrouver l’infidèle et ramener l’ordre… et le pain. Une fable magnifique sur le pardon et la communauté.
Une jeune fille, Patricia, tombe amoureuse d’un aviateur de bonne famille, qui la laisse enceinte avant de partir à la guerre. Rejetée par sa propre famille et celle de son amant, elle affronte l’opprobre avec une dignité bouleversante. La Fille du puisatier, un mélodrame poignant sur l’honneur et l’amour maternel.
Et comment ne pas citer Angèle, ou le désopilant Le Schpountz, portrait d’un commis d’épicerie qui se croit un immense acteur et devient la risée d’une équipe de tournage, avant de prendre sa revanche.
Pagnol en bulles : une seconde jeunesse en bande dessinée
La force des dialogues, la richesse des personnages et la beauté des décors de Pagnol semblaient prédestinées à l’art de la bande dessinée. C’est chose faite depuis plusieurs années grâce au travail remarquable du scénariste Serge Scotto et de dessinateurs talentueux comme Eric Hübsch ou Morgann Tanco. Ils redonnent vie à des classiques moins connus comme Merlusse et Cigalon, ou à des scènes cultes comme La Partie de boules. Les Souvenirs d’enfance ont eux-mêmes été adaptés avec brio, et sont disponibles dans une magnifique intégrale.
L’événement de cette année est la parution de Marcel et Monsieur Pagnol, le roman graphique que Sylvain Chomet (le génial réalisateur des Triplettes de Belleville) a dessiné en parallèle de son film d’animation. C’est une merveille de poésie et d’humour, la porte d’entrée rêvée pour les nouvelles générations, et une lecture indispensable pour tous les amateurs de romans graphiques.
L’auteur devenu cinéaste : Pagnol et le 7e art
Conclure sur l’œuvre de Pagnol sans évoquer son rôle de pionnier du cinéma serait une erreur. Il fut l’un des premiers en France à comprendre que le cinéma était un art à part entière, et non du « théâtre en conserve ». En créant sa propre « usine à rêves » à Marseille, il a offert au 7e art français certains de ses plus grands classiques et révélé des monstres sacrés comme Raimu, Fernandel ou Pierre Fresnay.
Son cinéma, tout comme ses écrits, est un cinéma de l’humain. Il prend le temps de filmer les visages, de capter les silences et de laisser les mots résonner avec l’accent de la vérité. Des décennies plus tard, son héritage est immense, tant ses films ont été revisités (par Claude Berri pour Jean de Florette, par Daniel Auteuil pour la Trilogie…) et continuent d’influencer les cinéastes.
Redécouvrir Marcel Pagnol en 2025, c’est donc s’offrir un double plaisir : celui de lire ou relire des textes fondamentaux de notre patrimoine, et celui de voir ou revoir des films qui n’ont rien perdu de leur force. Une œuvre totale, disponible en livres, en BD, et en coffrets DVD et Blu-Ray, qui nous rappelle que les plus belles histoires sont souvent celles qui parlent, avec simplicité et sincérité, du cœur des hommes.