Montagne et bande-dessinée font souvent bon ménage et donnent lieu à des histoires fortes et à des illustrations à la hauteur des sommets concernés. La parution d’Edelweiss est une belle occasion de s’offrir une balade dans le monde de la BD de montagne. En piste!
Edelweiss, quand l’amour déplace les montagnes
Olympe et Edmond sont jeunes et heureux de voir la guerre se terminer. Leur rencontre lors d’un bal guinguette laisse présager un avenir radieux. Si la vie n’est pas toujours douce pour ce gentil couple, ils sauront dépasser leurs peurs, leurs préjugés et leurs frustrations, réunis autour d’un but : gravir le Mont Blanc afin de marcher sur les pas d’Henriette d’Angeville, aïeule d’Olympe et célèbre alpiniste.
L’atout principal d’Edelweiss est de mêler adroitement romance et aventure humaine en ancrant ces deux éléments dans la réalité de la société d’après-guerre. La belle Olympe est une passionnée bien décidée à choisir sa vie amoureuse, qui mène aussi plusieurs combats de front : la liberté des femmes, le challenge sportif, l’épreuve du deuil et de la maladie… C’est donc une belle tranche de vie que nous proposent les auteurs de ce one-shot sensible et tendre. Une tendresse d’ailleurs très bien mise en image ! Le dessin de Lucy Mazel est d’une douceur et d’une rondeur incroyable, atténuant un peu les moments douloureux sans pour autant se priver de force lorsqu’il s’agit d’illustrer la majesté d’un Mont Blanc impitoyable et terriblement tentateur.
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Malgré sa beauté, ses mystères et l’attraction qu’elle provoque, la montagne peut aussi devenir un théâtre tragique, prenant son lot de vies tel un dieu antique, avide de sacrifices et prompt à la fureur. Le reste du monde de Jean Christophe Chauzy en est un bel exemple : une mère et ses deux garçons, en vacances dans les Pyrénées, sont victimes d’un gigantesque tremblement de terre. Totalement coupés du monde, une terrible lutte pour leur survie commence, l’ennemi n’étant pas forcément cette nature sauvage et indomptée.
Les amants de l’Oisans, de Fabien Lacaf et Nelly Moriquand raconte un drame plus intime, survenu lors de la première ascension de la Meije. Une romance brisée sur fond de réalité historique superbement illustrée et documentée !
Et n’oublions pas cette belle adaptation en BD de Premier de cordée de Frison-Roche, mis en image par Pierre Emmanuel Duquest, qui décrit avec force le courage et la passion qui animent une équipe de guides de montagne prêts à tout pour récupérer le corps d’un des leurs, tombé en pleine ascension. On ressent, dans ces ouvrages, la dualité des sentiments qui se joue souvent face à ce formidable adversaire minéral : un mélange de fascination, de respect, mêlé à une crainte instinctive.
Heureusement, l’attrait des cimes donne aussi lieu à de beaux challenges, quand l’homme décide de dominer sa peur et d’atteindre des hauteurs vertigineuses. On pense bien sûr à la formidable aventure de Fukamachi dans le Sommet des dieux, le célèbre manga de Baku Yumemakura illustré avec brio par Jiro Taniguchi. Les recherches du jeune homme le conduise à côtoyer le monde fermé des sherpas et des alpinistes les plus aguerris, à la conquête d’un Everest mythique et impitoyable. Parviendra-t-il à établir la vérité sur Mallory, le premier à avoir tenté l’ascension de ce monstre sacré ? Une aventure dont l’intrigue vous tient en haleine, le suspens étant rehaussé par le côté extrême de l’alpinisme de haut niveau.
Si Vertical de Shinichi Ishizuka possède moins de force et d’ampleur que le précédent, ce manga est néanmoins sympa à lire et aborde la question de la sécurité en montagne puisque l’on y suit les aventures d’un secouriste bénévole dans les Alpes japonaises. Plus joyeux que le Sommet des dieux malgré les petits et gros accidents mis en scène, cet ouvrage est un bel hommage à la montagne et aux hommes qui la pratiquent, à offrir aux néophytes pour la mise en garde !
Revenons dans notre beau pays avec l’excellent récit de Nicolas Debon : L’invention du vide, un superbe ouvrage inspiré des carnets d’Albert Frederick Mummery, précurseur de l’alpinisme moderne. Nicolas Debon retrace avec minutie son ascension du Grépon, citadelle infranchie jusqu’alors. Les dessins et les couleurs sont splendides et amènent une dimension supplémentaire à la narration de cet exploit : des teintes minérales, une luminosité glacée, des paysages immenses et solitaires plongent le lecteur au cœur même de cette course aux sommets, superbe !
Parfois, la pente à gravir relève de l’intime ; la montagne devient alors l’écrin de belles aventures humaines et pousse ses arpenteurs à dépasser leurs limites. Elle peut aider certains à donner un sens à leur vie, à chercher une autre vérité, elle peut engendrer une quête spirituelle, devenir un réconfort… La cordée du Mont Rose, signée Olivier Balez, en est un poignant exemple : lorsqu’il apprend que son frère est très gravement malade, il décide de l’accompagner en dessinant son combat contre une Maladie Inflammatoire Chronique de l’Intestin qui a dégénéré en cancer. Eric et d’autres malades se lancent à l’assaut du Mont Blanc, rien de moins ! Sensible, délicate, cette BD raconte avec pudeur mais sans faux-semblant les difficultés auxquelles doivent faire face les gens atteints de ce mal handicapant dont on parle peu. Cette cordée de l’espoir est un beau message pour tous ceux qui luttent pour tenir debout.
Se rapprocher du ciel pour se sentir vivant… C’est le mot d’ordre d’Ascension, de Shin’ichi Sakamoto, un manga d’une virtuosité narrative et visuelle assez époustouflante ! C’est la découverte de l’escalade et ensuite de l’alpinisme qui sauvera Buntarô Mori du néant où il s’est enfermé. Cet adolescent taciturne et solitaire trouvera un certain équilibre, voire du réconfort, en gravissant des sommets de plus en plus inatteignables. Une histoire très forte, douloureuse, qui se passe souvent de mots tant les dessins magnifiques suffisent à souligner la tension, l’effort, la victoire. Sublime !
La série Jonathan de Cosey (grand prix d’Angoulême 2017) invite le lecteur à suivre les errances d’un jeune baroudeur amnésique sur les pentes de l’Himalaya. Ici, pas question d’exploits sportifs, ce sont les rencontres que fait le héros au gré de ses pérégrinations qui donnent de la force au récit et lèvent peu à peu le voile sur son passé. Dans un Tibet occupé, en proie aux troubles, Jonathan garde une belle humanité et la montagne environnante lui réserve bien des surprises.
Restons encore un peu dans les confins du Népal et du Tibet en compagnie d’Alexandra David-Néel, cette formidable exploratrice et orientaliste de renom qui fut la première femme blanche à fouler le sol tibétain. Cette femme de caractère n’a reculé devant rien pour satisfaire sa curiosité et percer les mystères de l’enseignement bouddhiste dont elle suivit les préceptes toute sa vie. Une vie qu’elle termina sous des montagnes plus douces, à Digne les Bains, en compagnie de sa gouvernante, à l’origine du récit d’Une vie avec Alexandra David-Néel, adapté en BD par Frédéric Campoy et Mathieu Blanchot.
Enfin, l’ivresse des cimes peut toucher n’importe qui et l’humour a aussi sa place dans la BD de montagne. On pense tout de suite à la série Le génie des alpages de F’murr et à son troupeau terrible. Ces brebis ne doivent pas manger que de l’herbe, ou alors c’est le manque d’oxygène ! Accompagnées d’un chien savant et philosophe, d’un vieux berger moustachu puis d’un jeune berger totalement dépassé, ces bédigues retournent joyeusement les alpages sereins, terrorisant les randonneurs, montant des spectacles, ergotant sur tout et rien… F’murr est un super artiste, passé maître dans l’art du non-sens et du calembour, son style graphique est très original, le dessin participe activement à l’histoire et fourmille de détails souvent récurrents. Ajoutons que les très nombreux clins d’œil à l’art, l’histoire, la littérature ou encore le cinéma ne font que renforcer la richesse du propos et donne à l’absurde ses lettres de noblesse, carrément !
Plus classique : Fanfoué des Pnottas de Félix Meynet vous fera visiter la région savoyarde. Avec son franc-parler et ses polissonneries, son penchant pour les femmes et la bouteille, ce pépé malicieux est un brin caricatural mais fort sympathique. Et les gags des Fondus de la rando vous rappelleront sans doute des souvenirs, à glisser dans le sac-à-dos pour se détendre une fois arrivé au sommet !
Pour finir, si vous pensez sérieusement à quitter la ville pour vivre à la montagne, ne loupez pas le témoignage souvent hilarant de Mademoiselle Caroline : Quitter Paris. Ce livre est un must have pour toute citadine souhaitant s’établir au grand air, il vous donnera tous les codes et les clefs à avoir pour apprivoiser l’autochtone et c’est une mine de conseils de survie de base (oui, sur le verglas, on oublie les Louboutin, c’est non négociable).
