
En découvrant le Mali il y a 20 ans, Matthieu « M » Chédid n’aurait sans doute pas imaginé que ce voyage allait l’emmener plus loin que sur les terres rouges de ce pays. Il allait embarquer dans un voyage musical et collectif, avec Toumani Diabaté et des artistes de divers univers et continents : Lamomali. Alors que sort le deuxième album, on vous dévoile toute la beauté et la singularité de ce projet, un nouveau pont entre Paris et Bamako.
Dans un monde où le communautarisme fait de plus en plus rage, un projet qui réunit des êtres de multiples continents est à la fois un exploit et une joie sans commune mesure. L’un des mots de notre devise républicaine n’est-il pas « fraternité » ? Il est bien question de fraternité sur cet album.
En 1999, -M- chantait dans Mama Sam (Je Dis Aime) : « Non, je ne connais pas l’Afrique, aigrie est ma couleur de peau« . Cet appel de l’Afrique est déjà là. Il y a 20 ans, Matthieu Chedid débarque à Bamako, au Mali. Là, c’est le choc, une évidence. « Ça a été un choc émotionnel très fort. J’ai ressenti une forme de connexion mystique« , confie-t-il.
Il y rencontre Toumani Diabaté, l’un des grands maîtres griots et de la kora, cet instrument traditionnel. Une complicité artistique naît et bien plus. Sous l’impulsion de Toumani naît ce projet, Lamomali. Entourés de Fatoumata Diawara, Sidiki Diabaté, Oxmo Puccino, Ibrahim Maalouf et bien d’autres, -M- et Toumani osent le pari de réunir leurs deux univers, leurs deux continents.
Ce métissage de la pop et de la musique traditionnelle malienne est un aventure musicale inspirée et une vibration unique. Succès commercial et Victoire de la musique du meilleur album « world » en 2018, Lamomali dépasse tous les espoirs de cette aventure collective.
Totem, l’album des retrouvailles
« Sur ce projet, on a tous été animés d’une énergie humaine indescriptible. On a aimé être ensemble ; et on s’est beaucoup manqué après. Il fallait donc bien se retrouver, c’était inévitable« , explique Fatoumata Diawara. C’est encore sous l’impulsion de Toumani que renaît l’aventure. À la fin de la tournée En Rêvalité, le collectif reprend la route des studios.
Nous sommes à l’été 2024. Huit mois après la production du nouvel album, Toumani Diabaté, alors âgé de 58 ans, meurt subitement. Après l’effarement, la tristesse de perdre un ami, le collectif décide de poursuivre le projet. « Il fallait d’autant plus aboutir cet album, en mémoire de Toumani« , explique Matthieu Chédid.
C’est la même fraternité qui traverse ce Totem, qui débarque le 25 avril 2025. Outre le noyau dur M, Fatoumata Diawara et Toumani Diabaté, Balla Diabaté, le fils de Toumani, apparaît sur l’album. Sont également de la partie Oxmo Puccino, Ibrahim Maalouf, Seu Jorge, Amadou et Mariam, Tiken Jah Fakoli, Angélique Kidjo, Yamé, Patrick Watson et Philippe Jaroussky, des artistes de tous les continents et d’univers différents.
Ce qui est beau, précieux et admirable, c’est que, malgré leurs différences, les artistes ont su harmoniser leurs talents, leurs univers, chacun apportant sa pirerre à un édifice musical esthétiquement cohérent et gracieux.
Les ombres de Toumani Diabaté et de Philippe Zdar
L’ombre de Toumani Diabaté est là, sur cet album, comme une âme qui plane sur chaque note, chaque silence, chaque mot. Il fallait, comme un hommage, mettre en valeur certains des derniers enregistrements de Toumani. Pour accompagner un tel instrument, mythique et mystique, Fatoumata Diwara explique qu’il faut « savoir être là tout en donnant l’impression d’être absent ». Le nom de l’album Totem est déjà un hommage à Toumani et son instrument, la kora, un instrument au rôle totémique de la culture malienne.
Bel ami est la chanson hommage à l’artiste. Matthieu Chedid y chante : « Je suis ton griot dans les rues de Paris« . Son vague à l’âme est plus que touchant. « C’était palpable en studio. A travers Balla (fils héritier de Toumani), je ressentais la présence de son père« , confie-t-il.
La kora, pour peu que l’on croit en la spiritualité de la musique, sonne comme une résonnance de sa voix, de ce griot qui n’a eu de cesse de transmettre et faire découvrir sa culture, ses traditions.
L’ombre d’un autre disparu, Philippe Zdar (dit Zdar), plane. Musicien, producteur, ingénieur, il a été à l’origine du son du premier album de Lamomali. C’est son complice du groupe Cassius, Bombass, qui est aux manettes aujourd’hui. Ad Vitam lui rend aussi hommage. Cela commence comme une prière avec la voix lyrique de Philippe Jaroussky, et finit par cette guitare poignante qui s’enflamme. « Ami, ton âme, Oh I love you so » proclame Matthieu, un petit clin d’oeil à Cassius.
« Une émotion unique »
Avec Totem, Matthieu Chedid nous emmène à nouveau au Mali, à Bamako. Et le voyage est beau. Inconsciemment, on s’imagine le visage et le coeur inondés de cette lumière éclatante, enveloppés par le parfum d’un acacia. Les mélodies de la kora et les percussions africaines y contribuent.
Totem oscille entre ballades (Bel ami, Ad Vitam, Secret Garden) et titres punchy, groovy (Ama Kora, Je suis Mali, Il neige à Bamako). Les mots « métissage » ou « fusion » ont encore tout leur sens ici. Il y a de l’éclat, de la majesté, de l’émerveillement à l’écoute de cet album. Difficile de ne pas rester de marbre, soit en dansant sur les titres aux guitares funky/disco, incisives alliées à des percussions africaines, soit en étant ému.e sur les titres plus intimistes.
« Avec Lamomali, Matthieu a mélangé la métaphysique de la musique africaine et cette pop qu’on lui connaît sans rien travestir. Il a réussi à adosser le divertissement au sacré pour donner une émotion unique, comme si on se laissait bercer par l’univers. On a la sensation de fabriquer les choses avec les mains, de les pétrir. Il y a du mouvement et quelque chose aussi qui tient de la survie. C’est une vraie expérience« , décrypte Oxmo Puccino dans le dossier de presse. Ces mots du rappeur d’origine malienne résument brillamment ce qu’est et ce que signifie Lamomali.
« Ma mission a toujours été de faire découvrir la musique mandingue au reste du monde, et de faire comprendre aux gens que la musique n’a pas de frontières. Je ne joue pas la musique des autres et ils ne jouent pas la mienne. A chaque fois que nous mettons nos musiques en commun, nous créons quelque chose de nouveau« , disait Toumani Diabaté (L’aventure malienne de M, décembre 2013).
« Toi, qui que tu sois, je te suis bien plus proche qu’étranger ». Cet extrait du poème d’Andrée Chedid, la grand-mère de Matthieu, reflète l’esprit de cet opus. Ce sont ces ponts entre les cultures que Lamomali Totem éclaire à nouveau, ces ponts longtemps méconnus que nous pensions pour une raison ou une autre rompus, qui nous relient pourtant bien plus qu’on ne le croit.
A la fois grisant et électrisant par ses ryhtmiques afro/funk et afro/pop, cet opus est encore une belle déclaration d’amour au Mali. Ce brin de mélancolie qui se dégage de cet album n’alourdit pas la joie qui le traverse, grâce à cette communion festive des artistes. Véritable expérience poétique et musicale, Totem est de ces disques à l’humanité apaisante.
-M- et ses ami.e.s entonnent avec fougue, ferveur : « Je suis Mali« . Et vous, êtes-vous prêt.e.s à être Mali ? Rendez-vous le 25 avril 2025.