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Arthur Teboul & Baptiste Trotignon : un duo « piano-voix » plein de grâce

30 août 2024
Par Manue
Arthur Teboul & Baptiste Trotignon : un duo "piano-voix" plein de grâce

En écoutant « Piano-voix », on réalise à quel point ces deux artistes se sont trouvés. Cette osmose susurre à nos oreilles quelques-uns des plus beaux titres de la chanson française. Se considérant comme des passeurs, ces deux hommes ont fait de cet album un moment suspendu, un état de grâce. On vous explique l’histoire et pourquoi cet album est l’une des plus belles surprises de cette rentrée 2024.

L’histoire d’une rencontre

L’un d’eux est pianiste, jazzman confirmé. C’est Baptiste Trotignon. L’autre est le chanteur charismatique de Feu! Chatterton et poète à ses heures. C’est Arthur Teboul. A priori, rien ne laissait penser qu’ils se parleraient un jour, si ce n’est au détour d’une émission ou d’un festival. Et pourtant, en 2022, Jean-Philippe Allard – grand monsieur du monde du jazz, producteur de génie – a l’idée de faire se rencontrer les deux protagonistes pour créer un spectacle unique lors du Piano Day. Les deux artistes se connaissent de nom mais évoluent dans des domaines musicaux différents, l’un le jazz, l’autre le rock. Il a donc fallu s’apprivoiser, créer une osmose artistique, eux qui possèdent un langage musical différent. Les deux hommes ont trouvé un terrain où ils pouvaient chacun apporter quelque chose à l’autre et ont créé un Piano-Voix exceptionnel.

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Des passeurs de belles choses

Le point de rencontre est la chanson française. On connaissait déjà l’amour d’Arthur pour les grands poètes d’autrefois. Baptiste Trotignon a, quant à lui, fait remonter ses souvenirs de jeunesse et cet amour commun des chansonniers comme Jacques Higelin. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice que constitue cet album, enregistré en public. Les deux hommes se considèrent comme des passeurs de chansons. Parmi les titres, certains sont entrés au panthéon de la chanson française mais pas tous. C’est ainsi qu’on navigue au coeur de chansons ancrées dans la mémoire collective comme Göttingen de Barbara, en passant par Il n’y a pas d’amour heureux de Georges Brassens (poème de Louis Aragon), La vie en rose d’Edith Piaf, Est-ce ainsi que les hommes vivent de Léo Ferré (autre poème de Louis Aragon) ou Syracuse d’Henri Salvador. On retrouve aussi des pépites comme La rua Madureira de Nino Ferrer (l’histoire d’un amour brisé par le crash d’un avion qui sépare deux amants), Je ne peux plus dire je t’aime de Jacques Higelin, La ville s’endormait de Jacques Brel (magnifique métaphore sur le temps qui passe et  l’irréductible chemin vers la fin de la vie) ou Aucun express d’Alain Bashung. Ils ont aussi choisi de s’attaquer à l’immense Serge Gainsbourg avec des titres peu connus (Scenic railway, La noyée). Curiosité de cet opus, le duo s’autorise à s’approprier deux titres du répertoire international : Jealous guy de John Lennon et  de Radiohead.  

Piano-voix, un album poétique plein de majesté

L’album commence par Il n’y a pas d’amour heureux, le poème de Louis Aragon, mis en musique autrefois par Georges Brassens ou chanté par Catherine Sauvage. Ce texte, écrit pendant la guerre, parle d’un amour absolu inaccessible mais aussi de résistance. Louis Aragon reprochera l’amputation par Georges Brassens de la dernière strophe qui fait passer ce texte pour un simple texte d’amour alors que la notion de résistance a, dans la plume d’Aragon, un sens essentiel à ses yeux.

Dès le début de cet album, on ressent que qu’il est touché par la grâce. Deux fragilités, deux sensibilités s’expriment en équilibre, en accord parfait. Cet album piano-voix relie trois intimités : celle d’un texte, celle d’une voix (interprétation) et celle d’un piano.

Ce qui frappe assez immédiatement, c’est la contemporanéité de nombre de ces titres. Dans un monde fracturé, dans une humanité qui doute, qui semble avoir peur de sa diversité, où l’ignorance amène parfois la haine à ressurgir, des titres comme Göttingen de Barbara ou Est-ce ainsi que les hommes vivent de Léo Ferré (extrait du poème de Louis Aragon, Bierstube – Magie allemande dans le recueil Le Roman inachevé, 1956) résonnent de manière brutale nous rappelant la fragilité de l’harmonie de ce monde.  

« Cette chanson (Göttingen) raconte avec des mots très simples l’après Seconde Guerre mondiale avec Barbara qui va en Allemagne, qui pourrait avoir du ressentiment mais qui essaie de penser à l’avenir et donc d’avoir de l’espoir, de chercher la paix. Ces mots-là résonnent particulièrement aujourd’hui », confiait Arthur Teboul au micro de France Info. Rappelons l’histoire de ce titre. Un directeur de théâtre allemand assiste à Paris à un spectacle de Barbara à l’Ecluse. Il invite l’artiste dans son théâtre à Göttingen. Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle Barbara et sa famille juive se sont cachées pour éviter la déportation. C’est lors de ce séjour à Göttingen, entourée d’étudiants, qu’elle commence à écrire ce titre, l’un des plus beaux hymnes à la réconciliation et à la paix. 

Ce qui frappe aussi, c’est la manière décomplexée de s’approprier ces textes et ces mélodies. Arthur Teboul et Baptiste Trotignon décident de se placer dans l’instant T, de mettre de la liberté dans des éléments qui paraissent extrêment codifiés par le temps et l’histoire musicale. Ce faisant, ils réussissent à ne pas se sentir écrasés par leurs maîtres, leurs icônes. Pour Arthur Teboul, Aragon est l’un des plus grands de sa génération. Cet homme du verbe n’a nul autre pareil pour vous faire ressentir un texte jusque dans vos tripes. Je m’égare peut-être mais rappelez-vous son interprétation de L’Affiche rouge (encore Léo Ferré et Louis Aragon) pour la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. En prenant le rôle de passeur, il se libère du poids, de la charge mentale que peut procurer un tel événement de l’Histoire. 

La force de cet album réside dans la manière dont il est conçu. Vous avez deux virtusoses (l’un homme du verbe et l’autre, homme de musique) présents devant un public pour, non pas imposer et démontrer une habileté, une maîtrise mais pour partager un moment singulier. C’est ce moment qui n’a existé qu’une seule et unique fois qui a été capturé. 

« J’ai l’habitude d’être en groupe et d’avoir des musiciens très puissants et de pouvoir me protéger derrière ça. Cette nudité, cette fragilité, cette vulnérabilité est en moi, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup dans la musique », confiait Arthur Teboul. « Moi, le challenge, c’était de chercher une forme de simplicité, mais la noble simplicité. La simplicité de Mozart, c’est simple mais c’est pas mal foutu », ajoutait le pianiste Baptiste Trotignon, en juillet dernier sur l’antenne de France Info.

Opus original et personnel, Piano-voix est de ces albums que l’on n’écoute pas en fond sonore mais plutôt religieusement pour savourer toute la noblesse des artistes, ceux qui ont créé les chansons et ceux qui les interprètent.  

Dans l’émission Chantez-le moi : ces chansons que nous offrent les poètes, le 16 janvier 1983 sur Antenne 2, Bernard Lavilliers explique au micro de Jean-François Kahn que la poésie doit être « quelque chose d’extrêmement populaire. Si elle n’atteint pas son but et que ça reste dans des cercles fermés rose-bonbon, c’est l’enfer. La poésie est faite pour aller dans le cœur des gens. On fait partie des gens qui font de la poésie, qui vont la porter de là d’où elle est sortie. Là où les gens en ont besoin. Parce que la poésie, ce n’est pas quelque chose d’esthétique obligatoirement. Ça ne fait pas vibrer l’âme de façon esthétique. Ça peut-être quelque chose de très urgent ». C’est clairement ce que font Arthur Teboul et Baptiste Trotignon, comme l’avaient fait les Ferré, Barbara, Brassens et autre Brel avant eux. 

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Article rédigé par
Manue
Manue
Disquaire à la Fnac Saint-Lazare
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