Rencontre avec Sarah Lancman : « J’ai voulu honorer les mots qui font du bien au coeur et à l’âme »

Christophe Augros : Le pouvoir des mots, il est multiple, non ?

Sarah Lancman : Tout à fait, il est multiple 🙂 il a le sens que nous décidons de lui donner, l’histoire qu’il porte est teintée de nos souvenirs, de nos expériences. Le pouvoir des mots c’est aussi l’histoire que l’on va décider de nous raconter intérieurement. On peut transformer une vie, nos vies, avoir le pouvoir d’un mot. On peut ouvrir une porte fermée depuis trop longtemps que l’on pensait oubliée, on peut se rappeler d’un être cher, on peut créer une distance ou nous rapprocher. J’ai voulu honorer les mots qui font du bien au coeur et à l’âme dans cet album.

C.A. : Prévert, Kosma, Legrand, quelle place tiennent-ils dans votre vie ? 

S.L. : Concernant Prévert et Kosma, j’ai décidé de reprendre «les feuilles mortes» car ce morceau avait une grande valeur sentimentale pour moi. À 10 ans, j’avais des nodules aux cordes vocales et je sentais l’envie de me réfugier dans l’expression du piano, de l’écriture. Lorsque j’ai déchiffré ce morceau, tel Champollion découvrant la pierre de Rosette, tout un univers s’est ouvert à moi.  J’ai compris par la suite, la puissance de la structure harmonique que l’on nomme (2-5-1) dans le jargon très utilisé autant dans ce morceau que dans tout l’univers de Michel Legrand. En voyant le film Les demoiselles de Rochefort j’ai aimé la poésie, l’entrelacement des vies, la douceur, la poésie et ce lyrisme qui me tient à cœur depuis toujours depuis.

C.A. : 12 titres et combien de temps pour les écrire ?

S.L. : J’ai commencé par Nostalgia In Paris en plein covid : un Paris désert, incertain, une nostalgie et une envie de changement, de laisser quoiqu’il arrive la place à L’Amour même lorsqu’une page se tourne, même quand tout peut sembler moche et triste, avoir la force de partir avec amour en souhaitant à l’autre le meilleur. 

Ensuite je me suis vraiment plongée complètement dans l’écriture pendant 1 an et demi, j’avais besoin de tout remettre à plat, j’ai écrit bien plus que 12 titres mais j’ai sélectionné ceux qui me semblaient cohérents pour cette période de ma vie, cet album. J’ai renoué avec l’amour du piano, mes inspirations profondes, c’était très naturel et fluide.

C.A. : Un album qui semble avoir été accouché dans la douleur, non ? Il est question de nostalgie, de peine, de fin d’un amour…

S.L. : Je dirais oui et non. Oui car ça été le cas dans Nostalgia in Paris ainsi que Tango pour la fin d’un amour mais la suite est teintée d’espoir, de nouveautés avec Bolero Nocturne n°3, Je le sais, Toi pour finir avec Le pouvoir des mots qui a été le dernier titre écrit et qui m’a permis de boucler cet album en lui donnant sa couleur et son titre.

C.A. : Cette équipe, ce line up, comment s’est-il constitué ?

S.L. : J’ai demandé au départ d’arranger uniquement un morceau à Philippe Maniez pour voir si nos univers se correspondraient. Cela a été fluide, magique, évident. C’est sur ses conseils que j’ai contacté le merveilleux Quatuor Hanson ainsi que la contrebassiste Blanche Stromboni et Lucas Henri. J’avais envie d’inviter le guitariste belge-new yorkais Jean-François Prins avec qui également ce lien musical, cette synergie est tout à faire fascinante. J’entendais également un saxophone soprano et ténor et de la même façon, j’ai recontacté mon ami d’enfance : Louis Billette avec qui nous étions à la maternelle, primaire ensemble. C’est grâce à lui que j’ai découvert le jazz. Rejouer ensemble après toutes ses années a été un moment fort comme deux enfants qui se retrouvent pour s’amuser et cocréer ensemble. Il a un son magique depuis toujours. 

Concernant l’équipe sonore, Romain Clisson a été un élément essentiel du projet. Il m’a guidé vers le lieu du Gil Evans Studio (ancien label bleu mythique situé à Amiens). Nous avons enregistré ensemble dans la même pièce comme à l’époque de Frank Sinatra ou Jacques Brel…. Des prises uniques, où l’on se sent porté par l’adrenaline, la solidarité de nous faire confiance. 

C.A. : Parisienne en 2019 et encore sur les toits de Paris en 2023 : quel lien entre vous et cette ville sublime qui vous a vu naitre ? Un quartier préféré dans la capitale ?

S.L. : Ah, Paris…je suis née à Châtelet-les-Halles et mes parents, mes grands-parents y sont nés ou sont venus immigrer ici comme ville inspirante. La vue du haut d’un immeuble m’a toujours fascinée, d’ailleurs à chaque fois en tournée j’aime aller prendre un verre sur un des plus hauts rooftop de la ville. J’ai l’impression que mes rêves peuvent s’envoler. 

J’adore le quartier du Louvre/Opéra avec tous les restaurants et boutiques asiatiques, j’ai l’impression de voyager et j’ai un amour inconditionnel pour le Japon en particulier. Il y a quelque chose de rassurant aussi avec le Louvre. Même sans y rentrer, juste en s’installant sur un banc de pierre dans la cour carrée, on sent hors du temps, et revenir à un essentiel. Quand je rentre au Louvre, que je m’assois dans n’importe quelle salle, je me sens connectée aux artistes, à tous ces êtres humains qui ont créé à travers le temps… quand j’ai des doutes, quand je ne me sens plus inspirée, je vais là, et j’ai souvent mes réponses, j’ai à nouveau envie d’écrire, la joie et la foi reviennent. 

C.A. : Pouvoir des mots à l’oral et pouvoir de l’écrit : pour cette raison que vous publiez ce recueil de poésie en même temps que l’album ?

S.L. : Oui, j’ai toujours eu le rêve de publier un recueil de poésie. J’aime autant la musique que les mots et j’avais envie de partager cet amour-là : des poésies inédites jamais divulguées, les paroles de mes chansons pour les lire avec un autre œil, dans un autre contexte. La sortie du recueil sera prévue finalement pour l’automne prochain.

C.A. : Presque dix ans depuis Dark : vous y pensez ?

S.L. : Eh oui… ne m’en parlez pas ! 🙂 je suis si heureuse de voir aussi le chemin, ne serait-ce qu’en voyant la pochette : je suis partie de flou…. Pour arriver à quelque chose d’évanescent où il n’y a plus que mon nom et ma bouche. 

J’aime cette idée qu’un album est comme une photo à un moment T. Se retourner sur ce chemin et se dire qu’on a toujours fait du mieux que l’on a pu, donner le meilleur de nous-mêmes, c’est essentiel pour sentir l’énergie d’écrire la suite. Je suis heureuse d’être arrivée aujourd’hui après plusieurs tournées dans le monde, des rencontres magiques, et de sentir que comme dit le standard The Best Is Yet To Come 😉