Depuis deux décennies, Stupeflip brouille les pistes : associé au rap, le collectif a toujours exprimé sa différence à l’égard des courants mainstream du genre. Par son caractère jusqu’au-boutiste, le groupe s’apparente davantage à des punks amateurs de films d’horreur. À l’occasion de la sortie de leur nouvel album, Stup Forever, retour sur leur recette miracle.
Stupeflip : un certain malentendu
Fin 2002, une chanson assez particulière entre en rotation sur plusieurs grosses radios musicales. Je fume pu d’shit, morceau enregistré avec l’aide de Jacno, permet à Stupeflip d’accéder à une large popularité. Pourtant, si ce titre humoristique parle à tous les ex-fumeurs, il n’est pas le fruit d’un groupe comique. En vérité, la campagne promotionnelle qui suit la sortie du single révèle à la France entière le vrai « visage » du « Crou » : un trio apparaissant masqué, volontiers nihiliste, se riant du cirque médiatique auquel ils se livrent eux-mêmes.
Né trois ans auparavant, le groupe réunit Jean-Paul Michel (MC Salo) Stéphane Bellenger (Cadillac) et Julien Barthélemy (King Ju), et se présente comme un projet total. Chacun des membres incarne un personnage associé à une « mythologie », définie au cours de différents interludes. Malgré une certaine attitude punk, Stupeflip parvient à mettre en boîte un album très construit, Stupeflip, qui paraît dans la foulée de Je fume pu d’shit. Si d’un côté, les auditeurs du single ne suivent pas forcément le mouvement, le trio réussit à passer au statut de formation culte en quelques mois. Les concerts de leur première tournée, qui font le pont entre punk côté ambiance et rap par la façon de scander les textes, conquièrent un public jeune qui trouve, notamment en King Ju, un contre-modèle de vie. Nihiliste, hurlante, sa plume tranche avec le caractère bling-bling ou conscient des MC d’alors.
Stupeflip : une carrière en pointillé
Le goût pour l’horreur des différents membres du groupe, leur envie de pousser un délire de fumeur de cannabis jusqu’au bout, et le caractère brutal de leur musique se retrouvent à nouveau dans Stup Religion. Un deuxième album, sorti en 2005, qui prolonge la première époque du groupe. Melting-pot des différences influences du Crou, qui va de la chanson française à Wu-Tang Clan, en passant par la pop 80s et le metal, ce second opus est le prétexte à une tournée plus ambitieuse, presque « cinématographique » tant les ambiances des chansons sont adaptées pour la scène. Mais le disque marque aussi la fin d’une époque : sans label véritable suite à l’impopularité de Stup Religion, les trois compères ne peuvent vivre de leurs musiques et mettent leur aventure commune entre parenthèses. Ils font cependant reparler d’eux en 2010, avec la parution d’un DVD, qui sert à financer The Hypnoflip Invasion, improbable troisième opus, porté par le single Stupeflip vite. Une occasion rêvée de s’adresser à une nouvelle génération qui découvre, une décennie après ses débuts, un phénomène scénique et artistique.
Un parcours toujours suivi
Critique des médias, de la politique, des institutions médicales, Stupeflip fédère toute une armée de véritables adeptes. Au-delà du rap game, dont ils sont très éloignés, et du punk, dont ils ont repris les codes et le caractère « do it yourself », Stupeflip est devenu un sujet d’obsession geek. Le groupe s’appuie désormais sur ce phénomène : en 2017, pour Stup Virus, ils avaient fait appel au financement participatif. Ils continuent d’utiliser à leur façon YouTube ou les réseaux sociaux pour diffuser un univers toujours plus construit, alternant entre morceaux bangers (Dans ton baladeur, Tellement bon) et dialogues improbables : sur Stup Forever, leur nouvel album, la bande à King Ju fait montre d’un savoir-faire culte aux yeux de beaucoup !
