Scénariste et auteur de polar, Niko Tackian présente son métier d’écrivain et partage ses conseils d’écriture. Découvrez son univers créatif en trois épisodes filmés autour de la conception de son roman Avalanche Hôtel.
Scénariste et auteur de polar, Niko Tackian présente son métier d’écrivain et partage ses conseils d’écriture. Découvrez son univers créatif en trois épisodes filmés autour de la conception de son roman Avalanche Hôtel.
Episode 1 – L’image, moteur d’écriture
Niko Tackian : « Un bon thriller, c’est un livre dans lequel tu rentres, il y a un niveau de tension et tu gardes ce niveau de tension pendant toute l’écriture. Je vois ce qui se passe et je le décris. Les mots arrivent après l’image. « Où suis-je ? Qui suis-je ? » (Avalanche Hôtel, Niko Tackian Le Livre de Poche). Un bon début pour moi c’est quelque chose qui fait immédiatement rentrer le lecteur en immersion dans le roman. Il y a une ambiance qui est très marquée et souvent avec beaucoup de suspense et une fin percutante. Un peu comme une espèce de court métrage que l’on aurait tout de suite dès les chapitre 1. L’image fait partie intégrante de ma manière de penser puisque, comme j’ai travaillé beaucoup sur des supports visuels comme la bande dessinée ou l’audiovisuel, c’est la première forme que prend une histoire dans ma tête. C’est vraiment un instantané, une ambiance, une atmosphère. »
Lise Arif, agent de Niko Tackian : « Je trouve qu’il a une puissance d’évocation qui est absolument extraordinaire. Et pour moi, c’est un raconteur d’histoires tout terrain. »
Niko Tackian : « Quand j’ai envie d’une histoire, je me documente visuellement. Donc souvent je vois des films pour essayer de déterminer le spectre d’ambiance visuelle de mon roman. Avalanche Hôtel ça part donc d’une photo d’un vieux palace qui est maintenant abandonné. Immédiatement, j’ai eu un coup de foudre pour ce lieu. Donc je me suis renseigné, j’ai appris son histoire, j’ai appris où il était, j’ai fini par aller sur place le visiter. Voilà, ça a commencé comme ça, donc vraiment sur une espèce de flash visuel. »
Lise Arif : « Il travaille presque comme un réalisateur, il va dans des lieux. Quand il prépare ses romans, il fait des repérages. »
Niko Tackian : « C’est la dimension supplémentaire, tu es dans l’immersion quand tu vas sur place. Donc une fois que tu as toutes ces images et que tu as le vécu, après tu es prêt pour écrire. Tu n’as plus aucun doute sur la manière de décrire ce que tu as dans la tête. Je m’entoure de tous ces éléments visuels. Souvent je les accroche sur les murs autour de moi pour que ça s’imprègne bien, pour que je sois vraiment dans le lieu. C’est souvent les ambiance plus thriller qui m’intéressent, tout ce qui se passe de nuit, par temps orageux, ou alors très travaillé avec des chromies très fortes. Je ne fais pas de recherche vraiment visuelle pour chaque personnage de mes romans, mais ça arrive aussi qu’il y ait des personnages qui puissent naître par un portrait. Et je me dis que c’est exactement la tronche d’un mec, il faut que je l’écrive. Avant d’écrire, j’écris ce que j’appelle un chapitrage. C’est le roman chapitre par chapitre, avec sur trois lignes ce qui se passe. Et je me concentre justement sur tous ces ingrédients qui vont créer de la tension. »
« Un bon roman c’est comme un bon film, il faut que le début soit percutant. Moi j’ai une méthode qui est très simple : je m’inspire de quelque chose de visuel, comme une photo, comme une image de film… Donc quelque chose que vous pouvez faire simplement, c’est prendre une image qui vous inspire. Imaginez une petite séquence qui se passerait dans cette image, et commencez à la décrire en étant directement dans les décors. »
Épisode 2 – L’Écriture, un sport
Niko Tackian : « Dans l’écriture, il y a une partie mécanique exactement comme dans le sport. Si tu n‘es pas régulier tu ne progresses pas. L’écriture, c’est vraiment un marathon. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut abandonner, reprendre, abandonner, reprendre… Un roman tu ne peux pas l’abandonner une semaine, sinon tu es obligé de tout relire depuis le début pour te remettre dedans et surtout des thrillers, des thrillers il y a une tension et cette tension elle est quotidienne. Quand tu écris un thriller, tu es dedans du début à la fin, pour justement qu’il n’y ait pas ce sentiment de ventre mou comme ça : « Là j’étais en vacances avec mes enfants, là j’ai repris, etc… ». Tu ne peux pas faire ça donc tu es obligé vraiment d’être dans la continuité. Je fais ça souvent le matin parce que c’est là où j’ai l’esprit le plus vif. Je me lève en général à 7h, je fais ça à 7h30. Pour chaque roman j’ai une musique plus ou moins qui m’accompagne pendant toute l’écriture. Généralement, j’ai un livre ou deux d’images ouverts, qui sont déjà comme une porte vers mon roman. Je travaille en général deux heures et j’écris un chapitre. Et ça fait toujours entre 5000 et 6000 caractères parce que je suis vraiment réglé comme une horloge suisse. Et une fois que c’est terminé, j’arrête. Et je ne touche plus à rien jusqu’au lendemain matin même heure.
Avoir de la rigueur, avoir une forme d’ascèse dans l’écriture, le fait de s’y remettre comme ça tous les jours, être un besogneux, c’est à la fois nécessaire mais aussi obligatoire, en fait. Très vite tu comprends que ce n’est pas quelque chose d’instantané, ce n’est pas une fulgurance l’écriture. L’écriture c’est un travail, un travail quotidien. Comme une ascèse, exactement comme en boxe.
La boxe c’est un moment d’échange, comme dans l’écriture, il faut être très à l’écoute de l’autre. C’est un sport de sincérité. Il y a une espèce de respect entre les adversaires en boxe parce qu’ils prennent les mêmes risques. Et l’écriture pour moi c’est pareil, il faut être entier. Tu es obligé de te mettre un peu en danger aussi pour que sortent des choses intéressantes. Il y a tout un truc un peu cérébral dans la boxe qui correspond beaucoup à l’écriture aussi.
On me demande souvent : « Est-ce que tu as peur de la feuille blanche ? ». Je pense que c’est un mythe en fait, un mythe de l’écrivain. Il y a toute la préparation, il y a toute la documentation, il y a tout le travail intérieur que tu fais, les prises de notes, etc… Ce qui fait que le jour où tu arrives devant ta feuille pour commencer ton roman, il y a déjà six mois de boulot derrière. Donc c’est presque une libération de commencer ton roman, tu as envie de t’y mettre, en fait.
Pour moi, tout le monde peut le faire, c’est juste qu’il faut se donner la liberté de se dire qu’on peut le faire, ce qui n’est pas évident. Même moi j’ai mis des années, alors que j’écrivais déjà des scénarios, à passer au roman. Quand on écrit un roman, si on est sincère, on fera un bon roman.»
« Mon conseil d’écriture c’est la régularité. Il faut arriver à sanctuariser une heure par jour dans votre journée pour écrire, quel que soit l’horaire, le matin, le soir, n’importe quand, vous allez de l’avant et vous n’arrêtez jamais d’écrire jusqu’à ce que vous ayez votre roman. Allez, bon courage ! »
Episode 3 – Écriture et mémoire
Niko Tackian : « Dans le tatouage, on fixe quelque chose qu’on cherche à ne pas oublier alors que dans le roman, on essaie de fixer des choses qui vont nous permettre d’en comprendre d’autres. C’est un peu le processus de la résilience. Écrire des histoires pour réécrire son histoire. C’est ça la principe de l’écriture, pour moi.
La mémoire c’est un thème central dans presque tout ce que j’ai fait, de manière visible ou invisible pour les lecteurs. Je pense que ça croise énormément de choses chez moi qui sont mes origines arméniennes, donc l’importance de la mémoire c’est aussi l’importance de comprendre qui on est, de reconstituer son être, son identité. Tout ça c’est très subjectif : sa mémoire, ce qu’on se rappelle de son enfance, ce que les autres nous disent de nous. Pour moi écrire est un processus qui se fait à deux niveaux. Il y a le niveau conscient : je veux raconter cette histoire, les mots s’alignent et ça fait plus ou moins l’histoire que je veux raconter. Mais il y a la niveau inconscient, qui est que tous les matins, quand tu commences à écrire, tu ne sais pas du tout ce qu’il va y avoir sur la page. Et c’est pour ça que pour moi, écrire est une forme de psychanalyse.
Dans Avalanche Hôtel, le thème de la mémoire est central. Il arrive quelque chose au personnage principal, en l’occurrence, il est pris dans une avalanche qui fait que cette mémoire autobiographique, comme un puzzle qu’on aurait balancé par-dessus la table se reforme, sauf qu’il se reforme différemment. Il se rend compte qu’en assemblant ses souvenirs différemment, il n’est plus la même personne.
Trouver la sincérité d’écrire un roman, ce qui est important pour moi, m’a naturellement amené vers le tatouage. Ça fixait plusieurs choses : l’image, le côté graphique, et aussi le côté archéologique que tu as quand tu écris, d’aller chercher des choses en toi, d’en extraire quelque chose pour le graver, en l’occurrence par des mots, dans un roman. En fait, le tatouage, c’est exactement la même chose.»
Roberto Dardini, artiste tatoueur : « Le tatouage est une forme de communication. Moi j’ai besoin de comprendre l’essence même de ce que la personne a besoin de retranscrire. Là, il vient avec un personnage de Blade Runner, qui correspond bien sûr à une période nostalgique de sa vie et à un film qui l’a marqué. On a joué sur l’artistique pour uniformiser les bras et pour que tout s’emboîte et fonctionne. »
Niko Tackian : « C’est un personnage de femme qui regarde derrière moi de manière énigmatique, et représente un peu ma relation avec les femmes jusqu’à aujourd’hui. Dans le tatouage, c’est vraiment conscient : on cherche à extraire de soi quelque chose d’important pour le fixer sur sa peau. Dans l’écriture, c’est en écrivant qu’on découvre ce qui est important pour soi. »
« Souvent, on a peur de ne pas savoir sur quoi écrire, quelle est un bonne histoire. On pense qu’il faut absolument inventer des trucs. Mais en fait, l’une des très bonnes sources d’inspiration, c’est votre passé, c’est votre identité, tout ce qu’il y a à l’intérieur de vous. Un exercice qui est très pratique et qui permet justement de se replonger facilement dans son histoire, c’est de toujours se balader avec un carnet de notes, et de noter les choses les plus anodines du quotidien et de les relire plus tard. En général, non seulement ça fait revenir les souvenirs, mais en plus c’est souvent des choses qui nous ont marquées, donc elles ont un sens pour nous. Et on le retrouve, même des années après. »
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