Après Chien-Loup (Flammarion 2018), Serge Joncour propose pour cette rentrée littéraire Nature humaine : un retour vers le Lot qui lui est cher, la vie d’une famille paysanne face à la mondialisation et l’impact de l’homme sur la nature sont autant de thèmes qui lui tiennent à cœur. Retrouvez l’interview en ligne du lauréat Femina 2020 !
Avez-vous un rituel lorsque vous écrivez ?
Serge Joncour : « Quand j’écris un roman, je suis dedans d’une façon permanente, c’est-à-dire je ne le quitte pas. Ce sont des séances une peu furtives, fugaces, comme ça, à tout moment, imprévisibles. »
D’où vient ce livre ?
« Ce livre, il essaie de rassembler, d’une certaine façon, mon expérience et plus largement que ça, c’est presque une sorte de panorama, non seulement de moi mais aussi de ma famille. Et à travers ça, probablement de la France, dans la mesure où je parle de personnages dans un univers rural… Ce qui me concerne car toute ma famille est dans un milieu rural et moi je suis en ville. C’est un coup de projecteur sur cet exode rural et souvent, on suit ceux qui sont partis plus que ceux qui sont restés à la terre, à la ferme, mais avant tout, dans la nature. »
Quel est votre rapport à la nature ?
« Je me considère avant tout comme un être naturel, ce qui n’est pas toujours facile. Je suis une sorte de brique de ce grand ensemble : la nature n’est pas ailleurs, elle est là, très palpable. On est dedans en permanence, elle n’est jamais loin. Il y a un parc à côté : il est fermé en ce moment mais les arbres attendent quand même… »
Y’a-t-il des auteurs qui auraient pu être vos mentors ?
« Oui ! Henry Miller aussi bien que Flaubert évidemment, que je peux concevoir comme des collègues inatteignables… Mais pas des mentors, non, ce sont des copains… »
Quel est le sujet du livre ?
« Dans cette famille, il y a un garçon et trois sœurs. Les sœurs ne rêvent que de partir, d’aller vers le monde en quelque sorte, en tout cas au-delà. Elles sont l’allégorie d’une forme de mondialisation. Cette même mondialisation qui va rattraper Alexandre et ses parents à la ferme dans la mesure où ces éleveurs bovins, de vaches à viande, vont commencer petit à petit à travailler avec les premiers hypermarchés qui se mettent en place dans les années 70, le Mammouth de l’époque qui n’existe plus… D’ailleurs, Mammouth, ça disait tout, même dans l’appellation : c’était quelque chose d’écrasant, qui s’était posé à Cahors, et qui aspirait toutes les forces de vente… Ce qui remet en cause mon personnage, son mode de travail : on leur propose, y compris dans l’élevage, de faire venir des vaches d’ailleurs… Des vaches laitières qu’on fait engraisser pour faire de la viande. Mais faire venir des vaches d’ailleurs, ce n’est pas possible, ce n’est pas envisageable pour cette famille. Et pourtant, s’ils ne veulent pas rater ces opportunités de marché avec l’hypermarché, il faut qu’ils y aillent. À partir de là, ça suppose des mises aux normes, des mises en quarantaine : les animaux, quand on les prend et qu’on les fait venir dans troupeau, il faut une mise en quarantaine… Le père d’Alexandre dit : « Les animaux, c’est comme les hommes : ce n’est pas fait pour voyager ». Sinon, il y a des problèmes… »
Connaissez-vous la fin de votre livre lorsque vous commencez à l’écrire ?
« La fin se décide en fonction de que je vis moi aussi. Le fait de ne pas la connaître, de ne pas savoir précisément où je vais aller, nourrit une forme de suspense, d’intrigue pour moi-même. Donc vraiment, le jour de la rédaction du dernier chapitre, je ne sais pas ce qu’il va se passer. Et parfois, je peux faire durer : je repousse cette échéance jusqu’à la trouver ! »
Vous souvenez-vous de la première phrase de votre livre ?
« Très probablement : « C’est la première fois qu’Alexandre se trouvait seul à la ferme ». Il me semble… « Sans plus personne autour » ai-je ajouté à un moment. « Sans plus de bruits de bêtes ni de personne ». »
Paru le 19 août 2020 – 400 pages