Icône de la chanson française, Christophe nous a quittés ce 16 avril. En 50 ans de carrière, il a su se réinventer, gravant des titres mythiques comme Les mots bleus, Aline et Paradis perdus. En 2019, il continuait son cheminement artistique en proposant un album de duos, Christophe etc. Véritable moment de rencontre et de collision artistique, cet album prouvait encore une fois tout le génie de l’artiste.
Hommage à Monsieur Christophe
Comme pour beaucoup, en ce vendredi 17 avril 2020, c’est comm’si la terre penchait, tournait. Mon coeur est défiguré car Christophe Bevilacqua s’en est allé.
Fini le temps de la dolce vita, des marionnettes. Notre dandy électro-pop ne nous dira plus les mots bleus, ceux qu’on dit avec les yeux. Il ne criera plus Aline pour qu’elle revienne.
Pourtant, on pensait que ce samouraï qui avait en lui cette fureur de vivre, grâce à cette éternelle passion pour la musique qui ne l’a jamais quitté en plus de 50 ans de carrière, ne s’en irait pas comme çà, à cause d’un vilain virus qui passait par là.
Beaucoup aujourd’hui sont perdus, errant dans les vestiges du chaos car Christophe a rejoint le paradis.
Il chantait en 1972, Goodbye, je reviendrai mais on sait aujourd’hui que l’oiseau de nuit ne se promènera plus sur Minuit boulevard. Il laisse cependant une oeuvre qui, elle, est éternelle et un nombre de succès fou qu’il nous est possible d’écouter, encore et encore afin de ne jamais oublier l’immense artiste qu’il était et sera toujours.
Que dit-on à ceux qu’on aime, merci d’être là dans notre vie. Alors merci Monsieur Bevilacqua d’être entré dans nos vies grâce à vos chansons.
Un demi-siècle de succès fou (ou presque)
Voilà plus de 50 ans que Christophe a un succès fou, et pas seulement avec les filles. Etiqueté à ses débuts, chanteur romantique ou dandy crooner, Christophe a égrené, tout au long de ces années, des tubes, devenus de véritables standards de la chanson française, faisant de lui une icône. Si je vous dis dans le désordre « Aline », « Succès fou », « Les marionnettes », « Les mots bleus », « La dolce vita », « Paradis perdus », ces chansons, vous les avez forcément entendues. Certains artistes les ont même reprises. On se souvient d’Alain Bashung réinventant « Les mots bleus » ou plus récemment Christine & the Queens avec « Paradis perdus ».
Certes le succès n’a pas toujours été au rendez-vous. Christophe n’a eu de cesse de se surprendre d’abord lui-même et, par la même occasion, le public. Souvent ce dernier l’a suivi, pas toujours cependant comme dans le cas de Bevilacqua en 1996, album moderne qui rencontra un succès critique mais tranchant trop avec l’image de l’artiste selon le public. Ce n’est qu’avec le nouveau siècle que Christophe retrouve crescendo le chemin du succès, « Comm’ si la terre penchait », « Aimer ce que nous sommes », « Paradis retrouvé », « Intime » et « Les vestiges du chaos ».
En une cinquantaine d’années, Christophe n’a produit que 13 albums. C’est relativement peu. L’homme s’est, quelques fois, volontairement éclipsé en se consacrant à ses autres passions, l’automobile, sa collection de films (grand cinéphile, il a d’ailleurs écrit la BO « La route de Salina » entre autres) et son juke-box (fan de rock et de blues).
Et puis, Christophe prend son temps. C’est un maniaque, un esthète. Oiseau de nuit, artiste atypique dans la chanson française, Christophe n’est pas un chanteur comme les autres. Lui, ce qui lui plaît, dit-il, c’est de peindre des sons, de bidouiller ses machines, la nuit, dans son studio à la recherche du SON. Il ne se dit pas chanteur, mais un constructeur de gimmicks. Cet autodidacte qui a écouté Piaf, Brassens, le blues et le rock, est avant tout inspiré par la technologie, chasse les sons, les travaille comme une matière, tel un sculpteur.
L’oiseau de nuit de nouveau dans la lumière avec Christophe ect.
En mai 2019, Christophe revient dans la lumière, mais pas tout seul. En effet, avec Christophe ect., il propose un album de duos. Comme il l’a dit dans les médias de manière cash, ce projet, il ne l’a pas signé avec joie, les duos n’étant pas vraiment sa tasse de thé. Il préfère proposer quelque chose de vraiment nouveau à son public. Un artiste, cela doit évoluer et non resservir du ressassé. Il va même jusqu’à parler de cette proposition de projet comme d’ « un truc touristique » dans Maze en 2018. Cependant l’homme aime se jeter dans le vide, être sur le fil et surtout les rencontres.
Alors, cet album, il l’a fait à sa manière. Il a d’abord laissé ses invités (soigneusement triés sur le volet) se réapproprier ses titres emblématiques, faire à leur manière, lui ne venant qu’apporter sa touche finale. On pourra croiser dans ce projet édité en deux volumes (le premier en mai, le second en octobre), des artistes aussi divers que Raphaël, Sébastien Tellier, Yasmine Hamdan, Son Lux, Eddy Mitchel, Camille, Etienne Daho, Jeanne Added, Julien Doré, Juliette Armanet, Arno, Laetitia Casta, les rappeurs Nusky & Vati… Christophe parle de ce projet comme d’un album « barré ». « « Le petit gars » avec Etienne Daho, vous n’allez pas le reconnaître », dit-il. Cet album surprend. En effet, en ayant pris le parti de laisser presque carte blanche aux artistes (toutes générations et mondes musicaux confondus), de réinventer ses titres, de les prendre à bras le corps, on assiste à une collision d’univers, dans le bon sens du terme. On redécouvre ces titres, maintes fois écoutés, sous d’autres angles, avec des lumières différentes.
En même temps, cela ne nous surprend pas. Déjà avec Intime, en 2014, Christophe nous avait éblouis. Et puis avec l’album Paradis retrouvé, en 2013, il avait ressorti du placard 13 chansons inédites des années 70 et les avaient confrontées avec les technologies du 21ème siècle. Le résultat avait été magnifique.
Artiste unique, sans concession, élégant, phénoménal, avec Christophe, la musique décolle, prend de l’altitude. Mélodiste hors pair, avant-gardiste de la musique électronique en France avec son ami Jean-Michel Jarre, Christophe était un solitaire et « un mélange d’innocence et de sagesse », selon ce dernier.
Christophe n’aimait pas le mot carrière, il préférait celui de chemin. Les paysages sonores qu’il nous a peint depuis plus de 50 ans restent aussi beaux à entendre, que ce soit dans leur version d’origine que dans leur version actuelle. Christophe continuera inlassablement de nous surprendre, c’est que l’homme restera un gamin, émerveillé comme au premier jour. Et si c’était çà le secret de l’éternelle jeunesse (artistique) ?