Adeline Dieudonné signe avec La Vraie Vie un premier roman drôle et tragique, dont déjà tout le monde parle. Rencontre avec la lauréate du Prix du Roman Fnac 2018, qui publie, pour les 400 libraires et les 400 adhérents composant le jury, le plus beau roman de la rentrée.
Adeline Dieudonné signe avec La Vraie Vie un premier roman drôle et tragique, dont déjà tout le monde parle. Rencontre avec la lauréate du Prix du Roman Fnac 2018, qui publie, pour les 400 libraires et les 400 adhérents composant le jury, le plus beau roman de la rentrée.
La Vraie Vie ? Le parcours initiatique, sur six étés, d’une jeune surdouée, décidée à trouver le moyen de remonter le temps pour soigner son petit frère, traumatisé par un horrible accident. Le roman explore les questions de l’humanité/animalité, la place des femmes, le statut de l’homme comme super-prédateur, le déterminisme social et surtout la question du passage de l’adolescence à l’âge adulte, tout ce qu’on abandonne et tout ce qu’on gagne… Le roman est récompensé par le Prix du Roman Fnac 2018. Rencontre avec son auteure.
Découvrez la chronique du livre
Adeline Dieudonné, votre premier roman La Vraie Vie paraît aux éditions de L’Iconoclaste en cette rentrée littéraire 2018. Pouvez-vous nous le présenter ?
Adeline Dieudonné : « La Vraie Vie, c’est six étés de la vie d’une gamine, de ses 10 ans jusqu’à ses 15 ans. Le premier été, il va se passer un événement traumatisant, pour elle et pour son petit frère. Ça va être tout son combat pour grandir dans un univers menaçant, avec un père qui est un chasseur de grands gibiers, qui est un super prédateur, une mère qui est une amibe, qui ne s’occupe pas trop de ses enfants. Elle va vouloir réparer son petit frère et l’aider à sortir de son trauma et, sans qu’elle s’en rende vraiment compte, c’est ce qui va la faire grandir. Elle va découvrir le savoir, la sensualité, le plaisir charnel, dans l’adversité.
Un peu de biographie : en tant que primo-romancière, auteure de deux nouvelles et d’une pièce de théâtre, vous avez le droit à votre page Wikipédia. Sur cette page : qu’est-ce qui n’est pas mentionné ?
Je voudrais y voir figurer mon deuxième roman surtout !
Vous avez déjà une idée pour ce deuxième roman ? Un indice pour le lecteur ?
Oui j’ai déjà une idée… Un indice ? L’isolement.
Vous avez reçu le prix Première plume et le Prix du roman Fnac. Votre roman est en lice pour d’autres prix littéraires (dont le Goncourt), et est présenté comme l’un des favoris de cette rentrée. Comment accueillez-vous ce succès ?
Avec beaucoup de plaisir, d’enthousiasme, de surprise. C’est extraordinaire ! Et d’impatience, toujours envie de voir la suite. Qu’est-ce qui va se passer après ? Il y a quand même un grand suspense dans la rentrée littéraire.
Parlons de la genèse de ce roman : quel a été le déclencheur de l’écriture ?
Je n’ai pas vraiment de déclencheur. J’ai fait beaucoup d’improvisations théâtrales dans ma vie et, ce qu’on nous apprend, c’est qu’il ne faut pas chercher une idée pour commencer à rentrer dans l’histoire, il faut prendre le premier élément qui nous vient en tête et y aller. Je crois que c’est comme ça que je suis entrée dans ce récit. Après, j’ouvre la cage à mon petit monstre intérieur, je le laisse parler et il se libère. Et puis, très rapidement, il y a la voix de cette petite héroïne qui s’est imposée et qui m’a séduite, et je me suis dit que j’avais envie de la découvrir et d’aller avec elle voir où elle m’emmenait.
Votre héroïne, cette jeune narratrice surdouée, mène en quelque sorte un combat contre le déterminisme social, contre le destin qui l’enferme dans cette maison pleine de cadavres et de violence. Est-ce ainsi que vous présenteriez votre livre ? Comme un combat, un roman de la survie ?
Oui, complètement. Ça parle du déterminisme social, mais aussi du déterminisme de sexe, parce qu’on lui dit que comme elle est une fille, elle ne vaut pas la même chose qu’un garçon, donc elle n’a pas droit au même traitement, et surtout on la met dans un rôle de proie, par opposition au prédateur qu’est son père, et que son frère est en train de devenir. Elle va refuser ça, elle va refuser de devenir une proie, elle va également refuser de devenir une prédatrice. Elle refuse qu’on lui assigne un rôle, simplement. Elle refuse de n’avoir que deux alternatives ; elle va trouver les siennes.
On est vraiment dans ce schéma proie/chasseur, femme/homme. Est-ce que vous qualifieriez votre roman de féministe ?
Oui. Je n’y ai pas du tout pensé en écrivant, mais après avoir terminé de l’écrire… Je crois que le fait que ce soit écrit par une femme joue forcément. Je n’ai pas du tout essayé d’avoir un propos en écrivant, simplement je crois que je me suis replongée dans mes souvenirs et dans des choses que, je pense, toutes les femmes partagent. On s’est toute entendue dire que l’on n’avait pas le droit à certaines choses parce qu’on était des femmes. Donc, en ça, oui, je pense qu’on peut parler de roman féministe.
Votre roman dresse en quelque sorte une histoire de la violence ordinaire, dépeint la violence des hommes envers les femmes, mais aussi des hommes envers les animaux. Les animaux ont une place importante (que ce soit dans cette pièce pleine de cadavres, dans l’image de la hyène comme incarnation du Mal, ou dans le quotidien des personnages). Pourquoi donner autant de présence à l’animal, à l’animalité ?
Je ne sais pas bien. Probablement parce que j’ai toujours grandi avec les animaux. En ce moment, je me pose beaucoup de questions sur la violence qu’on leur impose, qu’on leur inflige, que ce soit par rapport à notre statut de super-prédateur qui exterminons une grande partie de nos congénères animaux, mais aussi par rapport à la consommation de viande, par rapport à l’abattage des animaux… Ce sont des questions pour lesquelles je n’ai pas de réponse, mais ce sont des questions que je me pose. La chasse est omniprésente. Qu’est-ce que ça veut dire cet instinct de chasseur, d’avoir besoin non seulement de chasser, mais de collectionner des trophées, de les exposer, de montrer et d’exprimer sa puissance à travers le meurtre, parce que ce n’est pas autre chose que ça. Je nous vois aussi nous comme des animaux. Finalement, on se distingue du reste du règne animal, mais on n’est pas si différent que ça.
Le roman laisse entrer le réel : on retrouve des références à la pop culture, au film Retour vers le futur par exemple. Quelle est votre relation avec les autres médias ? En dehors du livre, de l’écriture, qu’est-ce qui vous inspire ?
Je suis une grande consommatrice de séries télé. J’adore les histoires dans l’absolu, donc que ce soit à travers les séries télé, le cinéma, la BD… Je suis effectivement une grande consommatrice de tout ça. Parce que ça m’inspire, ça me nourrit. Et puis j’aime bien effectivement aller chercher des références qui ne sont pas forcément de grandes références très intellectuelles, mais qui m’ont marquée et qui, je pense, ont marqué une génération. Retour vers le futur en fait clairement partie. Ça me séduit quand je lis d’autres auteurs qui osent ce genre de références et qui ne sont pas à citer Sartre et Proust à longueur de temps.
C’est sortir d’une certaine vision élitiste de la littérature…
Exactement. Ce qui n’empêche évidemment pas de lire Sartre et Proust, mais il faut oser aussi assumer d’autres références.
Et quelles sont vos références littéraires ?
C’est difficile de faire des choix. C’est une question que l’on me pose beaucoup pour l’instant et c’est vrai que j’ai beaucoup de mal à choisir, à extraire. Je lis énormément et toutes sortes de choses. Sur La Vraie Vie, beaucoup de gens ont relevé des similitudes avec Stephen King, et c’est une parenté que j’assume et que je revendique totalement. J’aime beaucoup Stephen King, je l’ai énormément lu. S’il fallait en citer un, ce serait lui.
Pourquoi ce titre La Vraie Vie ? Qu’est-ce que c’est « la vraie vie » ?
En l’occurrence dans le roman, c’est le réel, c’est sortir de l’enfance et de l’imaginaire, et de ce monde un petit peu féérique et innocent pour se confronter au réel et à la fois à sa violence, à sa dureté. C’est le premier contact que mon héroïne a avec ce réel qui est un choc pour elle, mais elle va découvrir qu’il y a aussi beaucoup de joie, beaucoup de plaisir là-dedans. Il y a la découverte des sciences, du savoir et de la connaissance qui vont la fasciner et puis le plaisir sensuel, érotique, charnel. La vraie vie, je crois que c’est ça. En tout cas, c’est de là qu’est venu le titre.
Bibliographie d’Adeline Dieudonné
Amarula (nouvelle, 2017) – Grand prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Seule dans le noir (nouvelle, éditions Lamiroy, 2017)
Bonobo Moussaka (pièce de théâtre, éditions Lamiroy, 2017), un one-woman-show écrit et joué par Adeline Dieudonné
La Vraie Vie (roman, éditions de L’Iconoclaste, 2018) – Prix du Roman Fnac 2018
Est-ce que le roman a échappé à d’autres titres ? Ou est-ce que La Vraie Vie a été le seul et l’unique ?
J’avais un titre de travail, mais je savais dès le départ que ce ne serait pas le titre définitif : dans mon ordinateur, il s’appelait Valse en référence à la Valse des fleurs de Tchaïkovski, qui est présente dans le roman. C’est mon éditrice, Sophie de Sivry, qui a extrait ça. À un moment, mon héroïne parle de la vraie vie dans un dialogue. Immédiatement, j’ai dit oui, et ça n’a plus changé.
Un conseil pour les aspirants écrivains ?
Alors que je suis moi-même aspirant écrivain ! (rires) Je crois qu’il y a une chose que j’ai comprise, c’est la discipline et la rigueur. Ne pas s’arrêter, jamais. Le plus gros danger, c’est d’abandonner et c’est tentant, je sais. Il y a vraiment des moments où on en a marre, on ne sait plus où on va, et la meilleure arme par rapport à ça, c’est de se forcer à écrire tous les jours, tous les jours, tous les jours. Et dans mon cas, c’est un nombre minimum de signes que je me suis imposée. C’est vrai qu’il y a des jours où on n’a pas envie, où on ne sait pas, où on n’a pas d’idée. Je dirais, dans ces moments : se forcer, se fouetter, mais continuer.
BONUS – L’interview « Premières fois »
Avec La Vraie Vie, Adeline Dieudonné fait, comme on dit dans le jargon, « son entrée en littérature ». On s’est donc intéressé à ses premières fois :
Quel a été votre premier mot ?
Maman, je suppose
Votre premier livre lu ?
Les Mémoires d’un âne de la comtesse de Ségur
Votre première passion ?
Les chiens
Votre première transgression ?
Je suppose que j’ai fait le mur, comme tout le monde, quand j’étais ado
Votre premier chagrin ?
Un chagrin d’amour, évidemment
Votre premier concert ?
Je crois que c’était Mylène Farmer
Votre premier CD 2 titres ?
C’était un truc d’Aznavour, pour l’Arménie, au moment du grand tremblement de terre, ♪ Pour toi Arménie ♫ : c’était super !
Votre premier regret
J’imagine que j’ai dû faire un truc méchant à mon petit frère… Ça a dû être l’un de mes tout premiers regrets. Une bêtise…
Votre première histoire inventée
J’imagine que c’était dans la cour de récré
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Aller + loin : La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné, le rire de la hyène