Le 6 mai prochain, les éditions du Seuil vont publier Lieux, un projet inachevé de Georges Perec. Quarante ans après sa disparition, ce texte en suspens se présente comme un bel hommage à l’écrivain qui luttait contre l’oubli.
« Je n’ai pas encore de titre pour ce projet ; ce pourrait être Loci Soli (ou Soli Loci) ou, plus simplement, Lieux », écrivait Georges Perec à Maurice Nadeau dans une lettre datée du 7 juillet 1969. Quarante ans après la disparition de l’illustre auteur français, les éditions du Seuil ont tranché : ce sera Lieux. Publié à titre posthume le 6 mai prochain, cet ouvrage incomplet cristallise son envie profonde de suspendre, par les mots, l’inexorable fugacité des jours.
Membre de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo), Georges Perec aimait la contrainte, mais pas celle du temps. Son œuvre est en effet traversé par une ineffable peur de l’oubli. En 1969, il achevait La Disparition, un roman en lipogramme – figure de style qui consiste à exclure volontairement une lettre. Ici, son choix se portait sur le « e ». Un exercice difficile puisqu’il s’agit du signe le plus utilisé de la langue française. D’autant plus que la voyelle renvoie également à « eux », ses parents décédés, dérobés à jamais du monde sensible.
Témoigner du temps qui passe
Né en 1936, Georges Perec a connu la Seconde Guerre mondiale dont il est ressorti orphelin et sans repères. D’origine juive, ses ancêtres ont été effacés par la Shoah. Et il ne le savait que trop bien, les réminiscences s’entrechoquent et s’abîment toujours dans le creuset de la mémoire inexacte. Discret, l’écrivain disséminait alors quelques indices de sa personne dans chacun de ses textes. Et Lieux n’y fait pas exception.
Aux prémices de ce nouveau récit, Georges Perec avait choisi douze espaces parisiens, tous « liés à des souvenirs, à des événements ou à des moments importants de [s]on existence ». Chaque mois, il tâchait d’en décrire deux, sur place, puis ailleurs, de mémoire. Il consignait ensuite ces bribes d’instants dans des enveloppes cachetées. L’expérience, pareille à un jeu d’enfant, aurait dû s’étendre sur une période de douze ans.
« Je n’ai pas une idée très claire du résultat final, mais je pense qu’on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs », expliquait-il à Maurice Nadeau. Plus qu’une manière de redonner vie à ces instants révolus, le livre témoigne ainsi du temps qui s’écoule, mais pas que. Il prouve également que, quatre décennies plus tard, la reconnaissance du génie de Georges Perec demeure intacte.
Lieux, de Georges Perec, Seuil, 608 p., 29 €. En librairie le 06/05/2022.