Le réalisateur de La Grande Bellezza revient avec un film certainement moins provoquant et théorique que ses précédentes réalisations, mais aux accents nettement plus intimes.
Paolo Sorrentino, sans doute le cinéaste italien le plus en vogue de cette dernière décennie – qui s’est illustré au cinéma avec Il Divo (2008), This Must Be The Place (2011) ou La Grande Bellezza (2013) et à la télévision avec les deux saisons de The Young et The New Pope (2016-2019) – signe avec La Main de Dieu son film le plus personnel, en partie inspiré de son adolescence. Le jeune Fabietto Schisa – alter ego de Sorrentino – mène une vie paisible à Naples, entouré d’une famille aux mille visages, dont les personnages exubérants défilent les uns après les autres devant la caméra de Sorrentino qui se pose ici en topographe de sa propre histoire, quitte à prendre cela au pied de la lettre, tant de plans d’ensemble en grand angle entassent tous les membres de la famille au sein du cadre, comme si la caméra s’était plantée dans le sol. La Main de Dieu est une plongée dans le panthéon personnel de Sorrentino, où se côtoient harmonieusement les spectres de Maradona et Fellini. Comme souvent chez le réalisateur, le sacré se mélange au profane : dans La Main de Dieu – référence au « miracle » du but litigieux de Maradona contre l’Angleterre lors de la Coupe du Monde 1986 – ce sont les saints qui prennent forment humaine, tandis que le footballeur argentin, qui intègre le Napoli au moment du film, accède quant à lui au divin. Tout comme Fellini, Maradona reste hors champ, mais imbibe le film de son aura.
Dans un premier mouvement qui restitue l’affection de Sorrentino pour les visages qui ont peuplé son adolescence napolitaine, le réalisateur fait défiler une galerie de personnages magnifiquement grotesques ou fantasmés. Au milieu de ce bal des fous, Toni Servillo, acteur fétiche de Sorrentino, et Teresa Saponangelo incarnent des parents attendrissants, tandis que Luisa Ranieri incarne Patrizia, objet de tous les fantasmes du jeune Fabietto (interprété par Filippo Scotti). À travers son regard impuissant, Sorrentino inspecte en quelque sorte les origines de sa propre vocation, bâtie entièrement sur une cassure qui surgit à la moitié du film et métamorphose drastiquement la tonalité du récit.
La fresque colorée et insouciante de la première partie cède la place à l’errance de Fabietto, qui ne sait pas quoi faire de toute cette douleur accumulée. Naples est alors la toile de fond de son éveil inconscient aux potentialités du cinéma, notamment à travers sa rencontre – fantasmée ou non, le film ne tranche pas – avec le réalisateur Antonio Capuano. Parmi les scènes les plus touchantes, les adieux avec son grand frère Marchino (Marlon Joubert) sur l’île volcanique de Stromboli, dont le rêve de devenir acteur se délite devant ses yeux et retombe comme les cendres après l’éruption. Ou encore, la simple lucidité d’une leçon de vie – et de football par la même occasion – professée alors que les deux frères assistent, impassiblement, à un entrainement spectaculaire d’El Pibe De Oro.
« – Tu sais comment ça s’appelle ce que vient de faire Maradona ?
– Des coups francs ?
– Non. Ça s’appelle la persévérance. Et ça je ne l’aurai jamais. Toi, tu as intérêt à l’avoir. »
La Main de Dieu de Paolo Sorrentino – avec Filippo Scotti, Toni Servillo, Teresa Saponangelo, Marlon Joubert, Luisa Ranieri – 2h14 – Disponible sur Netflix depuis le 15/12/2021