Entretien

Amélie Nothomb (Le Livre des sœurs) : “Je suis pop et ravie de l’être !”

08 septembre 2022
Par Sophie Benard
Amélie Nothomb (Le Livre des sœurs) : “Je suis pop et ravie de l’être !”
©Joël Saget/AFP

À l’occasion de la parution du Livre des sœurs, c’est une Amélie Nothomb chaleureuse et magnétique qui a accepté de répondre à nos questions. Grand entretien.

Le livre des sœurs est votre 31e roman. Depuis 1992, vous publiez un roman chaque année ; d’où vous vient cette capacité à écrire autant ?

J’ai trouvé le secret et je vous le livre bien volontiers : il ne faut jamais s’arrêter d’écrire, tout simplement. C’est la grande différence entre les autres auteurs et moi. À l’instant où j’écris “fin” au bas d’une page, je commence le roman suivant. C’est un mouvement perpétuel et, aussi longtemps qu’on reste dans ce mouvement, l’inspiration demeure. La plasticité peut facilement se perdre, mais il faut la garder ; et pour la garder, il faut la faire fonctionner tous les jours, sans exception.

Alors, ça suppose de maudire son destin – très souvent ! Je me réveille tous les jours, sans exception, à quatre heures du matin, pour écrire ; même les lendemains de fête, même malade. Je ne me laisse juste aucune possibilité de ne pas le faire.

Votre rythme est d’autant plus impressionnant que vous dites écrire beaucoup plus que vous ne publiez. Comment choisissez-vous les textes que vous partagez au public ?

Oui, je suis en train en train d’écrire mon 105e roman, et je n’en ai somme toute publié que 31 ! Je choisis au désir. Par contre, je fais toujours mon choix après l’écriture, de façon à pouvoir écrire sans me préoccuper du regard d’autrui.

À la fin de l’hiver, je relis tout ce que j’ai écrit dans l’année et, seule, en fonction de mon désir, je choisis un roman de l’année – rien ne m’y oblige, mais je préfère. Je ne reviens pas sur les autres. Et je ne ressens aucune frustration pour ceux qui restent de côté ; ce serait bien plus terrifiant de tout montrer, au contraire !

Commencez-vous un texte avec une idée ou une notion que vous voulez mettre en valeur ou partez-vous directement d’une histoire ou de personnages ?

C’est très vague… Je dirais que c’est plutôt une sensation – une bribe de conversation entendue par hasard, un questionnement, une petite chose. Je tombe enceinte de petites choses !

Toutes les sœurs ne s’aiment pas à la folie, mais, quand c’est le cas, ça prend vraiment des proportions énormes !

Amélie Nothomb

Qu’est-ce qu’il vous tenait à cœur de raconter dans Le Livre des sœurs ?

Pour lui, c’était une conversation avec une amie, qui me parlait de ses parents, un véritable couple-forteresse qui s’aimait trop et qui n’avait jamais vraiment remarqué son existence. En y pensant, je me suis demandé ce qui aurait pu la sauver, et je me suis dit que ça aurait été d’avoir une sœur comme la mienne.

J’allais y venir justement, à votre sœur ! Vous avez une sœur dont vous êtes très proche, et vous écrivez tantôt des textes à forte dimension autobiographique, tantôt de pures fictions. Celui-ci est-il un entre-deux ?

Oui, j’ai mêlé le faux au vrai. Ça faisait longtemps, en fait, que je voulais parler de ma sœur, mais je ne pouvais pas le faire, parce que c’est trop intime… Et quand c’est quelqu’un d’autre, c’est difficile : se dévoiler soi, c’est notre problème, mais on ne peut pas dévoiler les autres de la même façon ! En mêlant l’hétérogène, j’ai pu mettre beaucoup de nous, mais de façon reconnaissable seulement par elle et moi.

Le Livre des sœurs, d’Amélie Nothomb. En librairie depuis le 17 août 2022.©Albin Michel

Votre texte met en scène le lien et l’amour sororaux dans un livre qui, par plusieurs aspects, évoque le conte : était-ce pour vous un moyen littéraire de tenir un discours “politique”, de rappeler les liens qui unissent les femmes entre elles, loin des clichés éculés sur la jalousie ou la compétition ?

Oui, c’était très important pour moi ! Les sœurs existent en littérature, bien sûr, mais le plus souvent dans la concurrence, dans la compétition. Même si on pense aux Quatre Filles du docteur March (de Louisa May Alcott, ndrl), par exemple… Certes, elles sont solidaires, mais elles se crêpent beaucoup le chignon, elles se critiquent, se méprisent même parfois.

Moi, je voulais montrer un amour plus fort que tout, un idéal d’amour qui échappe au rapport de force – même s’il y a des disputes, bien sûr. Et je crois que l’amour entre sœurs est la seule forme d’amour qui peut y échapper, justement.

Je ne sais pas ce qu’il se passe entre deux frères, bien sûr, mais je ne crois pas qu’on puisse s’aimer à ce point, entre frères. Toutes les sœurs ne s’aiment pas à la folie, mais, quand c’est le cas, ça prend vraiment des proportions énormes !

Plus jeune, je me croyais plutôt élitiste, voire snob, mais je me trompais complètement.

Amélie Nothomb

Le Livre des sœurs met aussi en scène la littérature, le pouvoir que les textes peuvent avoir sur quelqu’un. Était-ce une façon de tenir un discours sur la littérature, justement ?

Oui ! Il y a beaucoup de considérations sur la littérature dans ce livre. Elle est vue comme incompatible avec le milieu social des personnages : Tristane est rejetée dès qu’elle montre sa passion pour la littérature.

Mais je pense qu’il ne faut pas réserver ça aux classes populaires : moi, je viens de ce qu’on appelle une “bonne famille” et la littérature n’était pas non plus si bien vue – on aurait préféré que je me marie, que j’aie des enfants. C’est très choquant, pour une femme, dans notre milieu, de ne pas être mariée, de ne pas avoir d’enfants ; et, dans mon cas, on l’attribue à ma passion pour la littérature, à ma passion pour ma sœur.

Vous avez une façon de pratiquer la littérature que j’ai envie de qualifier de pop : vous êtes très productive, vous entretenez une véritable mythologie personnelle, vous semblez préférer les échanges avec vos lecteurs, vos fans, plutôt qu’avec le monde littéraire. C’est assez disruptif, en fait, dans le milieu guindé de la littérature. D’où cela vous vient-il ?

Ça me va très bien que vous appeliez ça pop, vous avez raison ! Ça s’est fait tout seul… Plus jeune, je me croyais plutôt élitiste, voire snob, mais je me trompais complètement, je ne suis pas du tout comme ça ! Je l’ai découvert sur le terrain… Je suis pop et ravie de l’être, je suis très heureuse comme ça.

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Vous êtes restée fidèle, depuis vos débuts, aux éditions Albin Michel. Accepteriez-vous de me dire quelques mots de la relation qui vous unit à cette maison ?

Ce que j’adore dans cette maison, c’est que c’est une famille, dans tous les sens du terme – y compris négatifs : il y a les tantes chiantes et les oncles idiots, bien sûr, mais aussi et surtout des gens auxquels on s’attache infiniment.

Surtout, c’est un lieu où on me dit librement ce qu’on pense de moi ; j’aime l’ambiance qui y règne. Quand une histoire d’amour marche, pourquoi aller voir ailleurs ?

Par contre, je laisse très peu de marges de manœuvre au travail éditorial, c’est souvent l’occasion de rixes… Mais ça ne me dérange pas du tout !

Le Livre des sœurs, d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 198 p., 18,90 €. En librairie depuis le 17 août 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste