La journaliste et femme politique vient de faire paraître son premier roman, Assemblées, une plongée réaliste et lucide dans les méandres de la « vie politique ». À cette occasion, elle a accepté de répondre à nos questions.
Vous êtes l’autrice de plusieurs essais, mais Assemblées est votre premier roman. D’où vous vient ce désir littéraire ?
J’avais quelque chose à raconter et la fiction me paraissait le meilleur biais pour le raconter. J’aurais pu faire un essai sur les relations de séduction et les rapports de pouvoir, sur la façon dont ils ont été modifiés par le mouvement #MeToo ; mais seule la fiction permet d’atteindre ces entre-deux pétris de contradictions dans lequel nous vivons.
Je voulais parler du désir, et surtout montrer qu’on ne se débarrasse pas facilement des structures de ce dernier, qui sont le produit d’une histoire, d’une culture. Surtout, je ne voulais pas apporter de réponses, mais plutôt dévoiler l’ambiguïté de certaines situations, de certains désirs, et me demander comment on fait pour transformer nos propres imaginaires et nos propres désirs.
Est-ce difficile d’écrire une fiction quand on est une personnalité politique ?
Il y a la peur de s’exposer, bien sûr, mais, quand on écrit, on est face à soi-même, de toute façon : on écrit pour soi. La période de l’écriture n’est pas vraiment tournée vers la réception. Par contre, c’est sûr que la publication n’est pas un moment évident ! Mais c’est finalement assez conforme à l’idée que je m’en faisais. Les critiques négatives ne m’ont pas étonnées ; celle publiée dans Marianne et celle de Beigbeder, par exemple. Assemblées présente un enjeu fort, pose la question des rapports de pouvoir et de l’égalité entre les femmes et les hommes : cela allait forcément diviser !
Je n’ai pas de prétention littéraire – je préfère dire qu’Assemblées est une fiction plutôt qu’un roman ! – mais je sais que si la littérature ne dérange pas, elle ennuie, et que les mauvaises critiques sont aussi le signe d’un dérangement.
Assemblées est un roman accessible, presque didactique : était-ce un enjeu pour vous ?
L’accessibilité est ancrée dans mon écriture, dans ma façon de m’exprimer : l’effort de m’adresser à un grand public est structurel chez moi. C’est une qualité, pour moi, d’être accessible ! J’ai voulu qu’Assemblées relève de la comédie : je voulais raconter cette histoire avec humour, même si elle comporte bien sûr une dimension tragique. Après tout, c’est le récit d’un monde qui se meurt…
Mais je voulais surtout que chaque femme puisse s’interroger elle-même sur ses propres désirs, sur ce qui rend attirants les hommes de pouvoir. À l’heure où la majorité des femmes françaises se déclarent féministes, ça m’intéressait de traiter justement de femmes féministes. Mais il ne suffit pas d’un discours pour sortir de son quotidien, de ses pratiques, de son imaginaire… Mes trois personnages féminins sont attirés par Antoine, mais elles supportent aussi assez mal d’être peu considérées par lui, elles s’agacent du peu d’égards qu’elles reçoivent : elles sont dans un entre-deux.
Le personnage d’Antoine Paulin est une stratégie narrative, pour faire trois portraits de femmes. L’avez-vous pensé ainsi ?
Il est assez banal, ce n’est pas un salopard. Il est surtout, lui aussi, pétri de contradictions. Il n’est pas du tout dans une volonté de prédation assumée. Oui, il sert de prétexte pour parler du désir des femmes et de nos contradictions, pour faire apparaître que même chez des femmes autonomes, apparemment libres, il y a des chaînes, des schémas classiques de rapports de domination.
Assemblées fait preuve d’une forme d’optimisme. Comment maintenir cet optimisme, alors que la société évolue si lentement ?
Tout est relatif : sur un siècle, ce que nous avons été capables de faire, nous, les féministes, c’est énorme ! Il y a un siècle, les femmes ne pouvaient pas porter un pantalon, n’avaient pas le droit à la pilule, ne pouvaient pas voter… Il faut se rendre compte de ce qu’on a soulevé, c’est considérable.
Maintenant, on touche au dur, c’est-à-dire nos désirs et nos imaginaires tels qu’ils se sont construits avec tant de siècles d’oppression. Et on ne change pas ça d’un coup de baguette magique, ni avec une loi qui promeut l’égalité. On ne change pas ça même en ayant soi-même des convictions chevillées au corps. C’est là qu’il y a une tension ; et c’est justement ce que je voulais explorer !
Assemblées, de Clémentine Autain, Grasset, 234 p., 20 €. En librairie depuis le 8 juin 2022.