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De TikTok à YouTube, les réseaux sociaux à l’âge de raison

13 juin 2022
Par Kesso Diallo
De la danse au nettoyage, les contenus sont variés sur les réseaux sociaux.
De la danse au nettoyage, les contenus sont variés sur les réseaux sociaux. ©Kaspars Grinvalds/Shutterstock

Connues et appréciées pour leurs contenus légers, les plateformes sont devenues des espaces où les vidéos se sont diversifiées, incluant des thèmes plus mûrs, plus sérieux, et des formats bigarrés censés convenir à un maximum de monde.

Très présents dans nos vies, les réseaux sociaux contiennent une pléthore de contenus. Permettant aux utilisateurs de se divertir ou encore de découvrir et d’apprendre de nouvelles choses, ceux-ci font l’objet d’une transformation au fil du temps. C’est notamment le cas des vidéos sur TikTok, réseau social qui ne cesse de gagner en popularité et d’établir des records. Après avoir franchi le cap du milliard d’utilisateurs en septembre dernier, il est aussi devenu l’application sur laquelle les utilisateurs dépensent le plus d’argent.  

Depuis son lancement en 2014 – sous le nom Musical.ly – les contenus publiés sur la plateforme ont évolué, non seulement en termes de diversification, mais aussi au niveau de la durée. Si TikTok est connu pour ses vidéos courtes, ainsi que les danses et les défis, ces contenus rapides et addictifs sont arrivés à maturité et peuvent aujourd’hui concerner la vie adulte, professionnelle ou encore la prévention. De quoi parler d’âge de raison pour le fast content.  

Des contenus plus longs, plus variés, plus mûrs

Les vidéos sur TikTok ont désormais tendance à être plus longues. Alors qu’elles ne pouvaient dépasser les 15 secondes au départ, elles durent 3 minutes en général aujourd’hui, depuis juillet dernier. Le réseau social continue d’ailleurs de proposer des formats plus longs à ses utilisateurs : en mars, il a annoncé le déploiement de vidéos d’une durée maximale de 10 minutes. L’agence Heaven, qui mène des études annuelles sur les comportements numériques des moins de 13 ans parle d’âge de raison pour les contenus : « Le fast content n’est plus forcément du short content, ce n’est pas parce qu’on y accède rapidement qu’il ne doit pas être long et dépasser la limite des 15 secondes de base des vidéos TikTok », explique Emmanuel Berne, directeur des études chez Heaven.  

Au niveau du fond, les contenus publiés sur la plateforme en 2019 se rapportaient surtout à la danse, à la beauté et à l’apparence, ou encore à l’humour et à la comédie selon l’agence. Trois ans plus tard, les vidéos présentes sur le réseau social tournent autour de thèmes plus mûrs rattachés à la vie adulte. Les utilisateurs peuvent en effet visionner des vidéos sur le ménage, qu’il s’agisse de nettoyer une pièce chez soi ou une paire de baskets. Des marques ont même tiré profit de cette tendance et ont gagné en visibilité, comme Stuff Paste (39,4 milliards de vues), qui vend une pâte de nettoyage. Plus atypique encore, ils aiment regarder une femme nettoyer des tombes abandonnées, avec @ladytaphos qui est suivie par 2,7 millions d’utilisateurs.

@ladytaphos

Hope you like it! oh and y’all are gonna be getting to know me a lot better over the next few weeks. 😎 #foryou #gravestone #excited #ladytaphos

♬ original sound – Alicia

TikTok est aussi une plateforme sur laquelle nombre de sujets sont vulgarisés. Dans le domaine des ressources humaines, par exemple, on trouve des tutoriels pour rédiger son CV, se préparer à un entretien d’embauche ou encore connaître ses droits en tant que salarié. La science y est accessible et présentée de façon ludique. Des professeurs se servent également de TikTok pour assurer la transmission de compétences en musique, comme Rapetmanthiques, qui rape sur des équations, par exemple.

Le sujet de la santé mentale a complètement explosé lors du confinement

Emmanuel Berne
Directeur des études chez Heaven

Les vidéos sur TikTok sont par ailleurs plus responsables par rapport aux défis qui peuvent se révéler dangereux. Pour certains d’entre eux, à l’image du Labello Challenge, les utilisateurs sont nombreux à alerter sur leur existence, ce qui a pour résultat d’avoir plus de contenus de « prévention » que de contenus de la pratique dénoncée. Ils s’intéressent en outre aux questions de santé et de bien-être mental, avec des contenus sur l’acceptation de soi pour aider les personnes à ne plus complexer sur leur physique. Les vidéos hashtags #mentalhealth et #selflove comptabilisent plus de 37,7 milliards de vues.

La présence de ce thème sur TikTok et d’autres plateformes est notamment liée au confinement : « Le sujet de la santé mentale a complètement explosé lors du confinement et c’est quelque chose qui est resté très fort et très présent aujourd’hui sur TikTok, mais aussi en tant que sujet médiatique. L’impact du confinement sur les plus jeunes est encore un peu latent », déclare le directeur des études de l’agence.

Les raisons de cette mutation

Trois raisons expliquent cette évolution des vidéos sur TikTok. « Aujourd’hui, la diversification des contenus est liée, d’une part, à des effets de mode qu’il peut y avoir par rapport aux contenus et d’autre part, au fait que les créateurs de contenu vont évoluer, vont grandir. Leurs centres d’intérêts vont changer à mesure qu’ils vont vieillir et cela va générer de nouveaux types de contenus », indique Emmanuel Berne. Pour illustrer ce propos, l’agence mentionne la créatrice connue sous le pseudonyme yeuxvert. Publiant, entre autres, des vidéos en rapport avec le maquillage et les vêtements, elle en publie désormais davantage autour des bébés depuis sa grossesse. Autre exemple : l’évolution des thèmes de vidéos les plus populaires en France. On est ainsi passé de la cour du collège en 2019 (2,3 millions de likes) à la partie de pêche avec son chien en 2022 (3,8 millions de likes), sans oublier les extraits de matchs de foot de l’équipe nationale.

@yeuxvert

Mon bébé … c’est passer tellement vite cette grossesse , bientôt 1 mois déjà 🥺❤️ #bebe #pregnant #grossesse #babymama #bonheur #baby

♬ Wildest Dreams – Duomo

Cette mutation des sujets provient également de TikTok lui-même. « La plateforme peut essayer de mettre en avant des contenus qui vont être différents de la danse, de l’humour volontairement pour fournir du contenu plus mature. Il y a une volonté propre à la plateforme de montrer ce contenu plus diversifié. Ce ne sont pas forcément que les créateurs qui sont en jeu, la plateforme a également un objectif de diversification », explique le directeur des études de l’agence.

Des sujets peuvent sembler nouveau sur TikTok alors qu’ils existent déjà sur d’autres réseaux sociaux. « TikTok est quand même une plateforme relativement récente. Des contenus ont pu être hyper forts à un moment donné sur des plateformes plus âgées, comme YouTube et Instagram. Ils apparaissent comme une nouveauté lorsqu’ils sont créés sur TikTok bien qu’ils soient un peu ressassés, reformatés avec le bon calibrage », indique Emmanuel Berne. Selon lui, les contenus pédagogiques en sont l’exemple le plus frappant. Inventés sur YouTube, ils sont « sortis » de cette plateforme pour aller sur le réseau social chinois. Les contenus sont ainsi recyclés à la sauce TikTok.

Une métamorphose visible sur plusieurs plateformes

Outre TikTok, d’autres réseaux sociaux ont connu une métamorphose, plus ou moins longue, plus ou moins manifeste. Certaines tendances visibles sur la plateforme chinoise sont aussi présentes sur d’autres. C’est le cas pour la santé mentale sur Instagram. À la suite d’une enquête auprès de la génération Z (jeunes âgés de 13 à 24 ans), le réseau social indique dans son rapport sur les tendances de 2022 que les jeunes s’y intéressent davantage. Ils « recherchent des moyens de poursuivre leur cheminement vers la santé mentale et le bien-être et de développer leur côté créatif (dessin, collage, peinture, écriture musicale, etc.) ». Le fait de rendre leurs maisons plus durables et respectueuses de l’environnement devrait d’ailleurs gagner en popularité cette année.

En invitant les autres chez soi pendant le confinement, les gens ont moins de pression à projeter des images irréalistes de leurs vies.

Kevin Allocca
Responsable culture et tendances chez YouTube

Concernant YouTube, si la plateforme était particulièrement utilisée pour regarder des vidéos autour de la musique, de la comédie ou encore du divertissement auparavant, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Selon le rapport Culture & Tendances 2021 de la plateforme, les consommateurs se servent de l’application pour apprendre à faire des choses eux-mêmes (tutos et autres DIY), gérer leur bien-être physique et émotionnel, voire pour trouver une communauté.

La pandémie de Covid-19 et le confinement ont notamment provoqué une chute de la barrière entre vie publique et vie privée. « En invitant les autres chez soi et en utilisant les outils et plateformes numériques pour communiquer pendant le confinement, les gens ont moins de pression à projeter des images irréalistes de leurs vies. Ils semblent en attendre de même de leurs créateurs et stars préférés », a expliqué Kevin Allocca, responsable culture et tendances chez YouTube.

Des créateurs ont ainsi rencontré un certain succès en partageant leur vie quotidienne, comme Dental Digest, un étudiant en dentisterie à l’Université de l’Illinois, à Chicago, qui a gagné plus de 500 millions de vues avec des contenus sur une activité banale : le brossage de dents.

Enfin, les formats bougent, eux aussi. Si TikTok a allongé la durée de ses vidéos, les autres plateformes sont allées dans l’autre sens en copiant l’application chinoise et ses formats courts qui ont contribué à son succès. Instagram a par exemple introduit les Reels et YouTube les Shorts. De manière générale, les réseaux sociaux ont tendance à se copier entre eux pour rester populaires. « Quand on regarde les plateformes comme Facebook, Instagram, Snapchat, TikTok et YouTube, on retrouve quand même une uniformisation des formats », indique Emmanuel Berne, rappelant d’ailleurs que TikTok lui-même a « volé » des formats existant ailleurs, à l’image des stories de Snapchat. Si pour le moment, ces deux plateformes sont particulièrement populaires auprès des jeunes – au détriment de Facebook et Instagram – reste à voir si elles le seront toujours d’ici quelques années : Facebook, populaire chez les jeunes à ses débuts, est aujourd’hui considéré par les enfants comme le « réseau social des parents », voire des grands-parents.

Les contenus et les formats changent ainsi sur les réseaux sociaux afin de continuer à séduire des utilisateurs volatils. Non seulement, ces derniers grandissent et évoluent, mais ils sont aussi prêts à changer de nid s’ils trouvent mieux ailleurs. Face à la concurrence élevée, les plateformes n’ont pas d’autre choix que d’évoluer elles aussi pour rester dans le game.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste