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Les Maisons vides, de Laurine Thizy : les prodiges d’une sensibilité éperdue

01 février 2022
Par Sophie Benard
Les Maisons vides, de Laurine Thizy : les prodiges d’une sensibilité éperdue
©Patrice Normand

[Rentrée littéraire] Propulsée vers la fin de l’enfance par le deuil, Gabrielle prend corps sous la plume virtuose de Laurine Thizy. Une merveille.

Le premier roman de Laurine Thizy s’ouvre sur un prologue superbe, sur le tableau d’une jeune femme qui quitte sa chambre, en pleine nuit, et traverse un jardin pour aller rejoindre une vielle femme morte dans son lit. On chavire dès les premières pages des Maisons vides, dès la course effrénée de Gabrielle – « ma Gabrielle sauvage et bagarreuse, fine comme un bébé sirène » – pour aller s’allonger une dernière fois contre le corps de son arrière-grand-mère, Maria.

Le second tableau, lui aussi d’une puissance remarquable, révèle l’accouchement de Suzanne, qui a donné prématurément la vie à Gabrielle. C’est 13 ans plus tard, par la mort de son arrière-grand-mère adorée, que Gabrielle découvre « l’absurdité vertigineuse des adieux ». Le corps chétif de l’enfant prématurée est devenu un corps aussi puissant que souple ; un corps gracieux et discipliné de gymnaste. La disparition de Maria entraîne Gabrielle vers la fin de l’enfance, qu’elle considère depuis son port de tête orgueilleux, depuis le souffle qui parfois lui manque.

Gabrielle, avec son regard de jeune louve et ses cheveux tirés, n’est qu’intransigeance. Je crois que Suzanne se demande comment elle a fait une enfant avec cette détermination dans le regard. La mère a la réserve des femmes du siècle d’avant, qui se pensent dans leurs absences et leurs limites.

Laurine Thizy
Les Maisons vides

Les Maisons vides s’ouvrent sur la mort, certes, sur la mort si terrestre, si sensible qu’elle transforme les femmes aimées en cadavres froids. Mais le roman manifeste la vie à chaque page, alors qu’il dresse, parcourant les générations, de superbes portraits de femmes. L’écriture de Laurine Thizy, puissante et sensible, d’une maîtrise absolue, donne à sentir l’inébranlable présence des corps, des corps qui suent, qui travaillent, qui ploient, qui se déchirent pour donner la vie. Des corps à travers lesquels on devine parfois « l’ombre des organes ». Cette écriture sublime se déploie avec une telle délicatesse qu’elle semblerait presque fragile, si elle n’était soutenue par la force des personnages auxquels elle donne corps. Bouleversant.

Les Maisons vides, de Laurine Thizy. En librairie depuis le 14 janvier 2022.

Les Maisons vides, de Laurine Thizy, Éditions de l’Olivier, 272 p., 18 €. En librairie depuis le 14 janvier 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste