Critique

Dans l’ordre ou dans le désordre ? Kaléidoscope, la nouvelle série non linéaire de Netflix

01 janvier 2023
Par Héloïse Decarre
Dans l’ordre ou dans le désordre ? Kaléidoscope, la nouvelle série non linéaire de Netflix
©Netflix

Pas de début, pas de fin… C’est vous qui créez le fil des événements ! Avec Kaléidoscope, sa nouvelle série anthologique diffusée dès le 1er janvier, Netflix promet une expérience immersive inédite, celle de la narration non linéaire.

Le principe : chaque spectateur peut choisir l’ordre dans lequel il visionne les huit épisodes de cette minisérie policière, pour vivre une expérience unique de l’intrigue. Jaune, rouge, vert, bleu, violet, rose, orange, blanc. Cette combinaison est la mienne, et définit ma découverte de l’intrigue de Kaléidoscope. Une expérience probablement très différente de la vôtre. Car les huit épisodes ne sont pas numérotés, mais identifiables grâce à des couleurs. Et, comme dans un kaléidoscope, ces couleurs se rejoignent aléatoirement, pour produire d’infinies combinaisons.

25 ans répartis sur huit épisodes

Des combinaisons que vous choisissez et qui s’articulent autour de 25 années, avant, pendant et après un casse réalisé par une bande de braqueurs professionnels. Librement inspirée de faits réels, Kaléidoscope retrace la disparition, alors que l’ouragan Sandy fait rage, de 7 milliards de dollars d’obligations stockés dans une chambre forte réputée inviolable, au cœur de Manhattan.

Sous le commandement de Léo Pap, voleur chevronné campé par le très crédible Giancarlo Esposito (connu notamment pour son rôle de Gus Fring dans Breaking Bad et Better Call Saul), se forme une équipe de hors-la-loi surdoués : Ava Mercer (Paz Vega), avocate véreuse doublée d’une armurière ; Judy Goodwin (Rosaline Elbay), chimiste experte des explosifs et son mari Bob (Jai Courtney), forceur de coffres-forts ; Stan Loomis (Peter Mark Kendall), revendeur ; et RJ Acosta (Jordan Mendoza), chauffeur et petit génie de l’informatique. Ensemble, ils espèrent voler les bons de souscription d’obligations de trois mystérieux ultrariches et puissants, connus sous le nom de « Triplés ». Des bons sous la surveillance de Roger Salas (joué par Rufus Sewell, apparu dans The Man in the High Castle), chef de la société de sécurité SLS, et de sa protégée au double visage, Hannah (incarnée par Tati Gabrielle, vu dans Les Nouvelles Aventures de Sabrina).

Regarder une série comme on fait un puzzle

Talonnés par le FBI et l’agente dépourvue de limites Nazan Abassi (Niousha Noor), les personnages ont tous un destin différent. En avançant dans l’intrigue, et en fonction de l’ordre de visionnage choisi, leurs relations présentes et passées sont dévoilées, ainsi que les liens – pas toujours faciles à deviner, mais jamais surprenants – qui les unissent. Très vite, les motivations de chacun apparaissent. Et l’argent en est rarement une. En fait, ce casse est surtout une question de revanche et la cupidité a de graves répercussions sur les personnages qui en font preuve.

Éléments clés de l’intrigue, les relations des personnages entre eux ne sont cependant qu’un des nombreux arcs narratifs mis en place à travers la série. Qui a organisé le casse ? De quelle façon l’équipe a-t-elle procédé ? Qui s’en est sorti ? Qui est digne de confiance ? Qui a trahi les autres ? Et, surtout, comment s’est passé le braquage ? Dans tous les épisodes, plusieurs questions sont posées, sans que leur ordre de résolution ait un impact sur la bonne compréhension de l’histoire.

Cerveau de l’opération, Léo Pap réunit une équipe d’experts en cambriolage pour contrer la sécurité mise en place par Roger Salas, dans une quête où la vengeance se révèle plus importante que l’argent.©Netflix

Kaléidoscope est comme un puzzle, qu’on assemble petit à petit. Chaque étape de l’organisation du casse est mieux comprise au fur et à mesure, tout comme certaines évolutions des personnages : les cicatrices de Bob, la maladie de Léo, la relation entre Stan et Judy… Les épisodes ont tous de multiples connexions, valorisées par une mise en scène extrêmement précise, détaillée et très rythmée. Un objet paraissant d’abord sans importance se révèlera ensuite un indice clé. C’est le cas, par exemple, des lunettes oubliées par Stan dans le coffre-fort : discrètement posées sur son nez et à peine remarquées dans un épisode, elles deviennent, dans un autre, un élément majeur quand elles sont découvertes par Roger Salas.

De tels repères sont très nombreux et leur découverte diffère en fonction de l’ordre dans lequel on a visionné la série… Ce qui provoque une joyeuse envie de scruter le tout de nouveau, mais dans un autre ordre, à la recherche du détail que l’on aurait pu rater, peu importe si celui-ci n’a pas une importance capitale dans la compréhension de l’intrigue globale.

Quand tout se joue sur l’écriture

Car si tout repose sur l’écriture du scénario, cette intrigue est, fort heureusement, sans accroc et très habile. Pas étonnant quand on sait que le showrunner, Éric Garcia, est avant tout un écrivain et un scénariste. Très bien écrits, les personnages évoluent dans le temps avec réalisme et se révèlent attachants, surtout grâce aux dialogues teintés d’humour (on retiendra particulièrement le personnage de Bob, brute violente prenant tout de même le temps d’échanger avec d’autres truands sur la meilleure façon de parler de ses sentiments à la femme qu’il aime).

L’identité de chaque personnage est toujours transmise au public d’une manière ou d’une autre, afin qu’il ne soit jamais perdu. La finesse de l’écriture inclut également quelques discrets clins d’œil à la non-linéarité. Dans l’épisode violet par exemple, remontant 24 ans avant le casse, la petite Hannah fait remarquer à son père que son prénom s’écrit et se lit dans les deux sens. Tout comme Kaléidoscope, qui peut se voir dans tous les sens, se dira le public.

Kaléidoscope repose sur une écriture précise et détaillée, imaginée par un showrunner scénariste, Éric Garcia, rendant les épisodes visibles dans n’importe quel ordre.©Netflix

L’écriture sert l’intrigue : chaque épisode contient la fin et le début d’un arc narratif. Des arcs assez prenants et détaillés pour qu’on les remarque et, surtout, pour que l’on s’en souvienne. À condition, tout de même, de rester un minimum attentif. S’il est difficile d’apprécier une série en scrollant sur son téléphone, on le déconseille fortement pour celle-ci.

Jouer à plouf-plouf pour choisir son ordre de visionnage est donc totalement possible, mais la narration non linéaire reste limitée. Une seule règle est conseillée : l’épisode blanc, celui qui dévoile les événements du casse en lui-même, doit être regardé en dernier. Même les miracles de l’écriture ne pourront pas changer cela : les plus grandes révélations ne peuvent pas être découvertes avant la fin. Dans le cas contraire, les événements restants pourraient paraître inutiles à regarder. Et la clé de certaines énigmes est toujours plus appréciable à découvrir en ayant tous les éléments en tête.

Tirer le meilleur du streaming

Cette unique règle respectée, la narration non linéaire n’a qu’un avantage. Outre le côté amusant de devoir choisir au hasard ce qu’on veut regarder, elle a le mérite de rendre intéressante une histoire plutôt banale. Les récits policiers autour de casses sont plus que communs sur le grand et le petit écran. La corruption, la vengeance, la loyauté et la trahison en font toujours partie, tout comme les identités cachées et les liens révélés. Mais, avec une narration « puzzle », les retournements deviennent plus difficiles à cerner, et les indices plus divertissants à rechercher.

En pleine guerre du streaming, Netflix joue la carte de l’originalité et parvient à se différencier de ses concurrents avec un nouveau format inédit et amusant, où le public prend une nouvelle place.©Netflix

L’expérience est immersive, et le public prend un rôle nouveau dans la création de la série. Une telle tentative d’implication des spectateurs et spectatrices avait déjà été tentée par Netflix avec plus ou moins de succès, en 2018, quand l’épisode « Bandersnatch » de la série Black Mirror était sorti. Le public pouvait alors prendre des décisions pour le personnage principal, en choisissant entre plusieurs options, ce qui affectait la suite de l’histoire.

Encore une fois, le grand N rouge innove et repousse les limites de l’interactivité entre plateforme et public. Les spécificités du format s’en trouvent optimisées : la sortie simultanée des épisodes d’une même saison trouve un nouveau sens, et le contrôle de l’application par le public ne sert plus seulement à choisir une langue, mais aussi un épisode. Dans le cadre d’une guerre du streaming qui s’intensifie, Netflix invente une façon inédite de se différencier de ses concurrents. Et le pari est réussi : dans l’ordre, ou dans le désordre, tout fonctionne parfaitement.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste