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Facebook : la lanceuse d’alerte Frances Haugen fait trembler le réseau social

06 octobre 2021
Par Thomas Estimbre
La lanceuse d’alerte continue de faire trembler le réseau social. Elle sera entendue par l’Assemblée nationale le 10 novembre.
La lanceuse d’alerte continue de faire trembler le réseau social. Elle sera entendue par l’Assemblée nationale le 10 novembre.

Ex-salariée de Facebook, Frances Haugen a décidé de dévoiler les dessous du fonctionnement du réseau social. La lanceuse d’alerte accuse le géant des réseaux sociaux d’avoir choisi “le profit plutôt que la sûreté”, faisant fuiter de nombreux documents internes. Ces révélations ont provoqué la pire crise chez Facebook depuis le scandale Cambridge Analytica en 2018.

Habitué aux critiques et controverses depuis sa création, Facebook doit désormais faire face à une véritable tempête. Le célèbre réseau social a connu un début de semaine compliquée avec une panne historique de l’ensemble de ses services (Facebook, WhatsApp, Instagram et Messenger) pendant environ six heures. Cette dernière n’a pas manqué de faire réagir et vient s’ajouter aux révélations d’une lanceuse d’alerte. Ancienne cheffe de produit chez Facebook, Frances Haugen est une spécialiste des “classements algorithmiques” à la carrière brillante. Passée par l’université d’Havard, elle a fait des études d’informatique avant d’être embauchée par Google et de passer par Hinge, Yelp, Pinterest puis par le réseau social Facebook. La firme de Mark Zuckerberg s’est attaché ses services en 2019 pour lutter contre la désinformation au sein de son département “intégrité civique”. Une carrière riche qui lui a permis de voir “pas mal de réseaux sociaux”, mais “la situation chez Facebook était pire que tout ce que j’avais pu observer avant”, estime aujourd’hui l’ingénieure.

 © Capture d’écran/CSPAN
© Capture d’écran/CSPAN

Cette situation l’a poussée à quitter l’entreprise en mai, emportant avec elle de nombreux documents internes. Ces derniers ont été confiés notamment au Wall Street Journal qui a publié, mi-septembre, une série d’articles sur la base de ces informations. Appelés Facebook Files, ces milliers de documents ont par exemple révélé que la firme américaine effectuait des recherches sur Instagram depuis trois ans pour en évaluer les effets sur les adolescents. Comme nous le rapportions il y a quelques jours, une étude a révélé que 32 % des adolescentes se sentant mal dans leur corps estimaient que l’utilisation d’Instagram leur avait donné une image encore plus négative de leurs corps. Conscient du problème, Facebook l’aurait minimisé si l’on en croit Frances Haugen.

L’ex-employée fait trembler Facebook

Son nom fait aujourd’hui trembler la firme californienne, suite à sa décision de se montrer pour la première fois à visage découvert dans l’émission 60 Minutes. Ce programme, diffusé sur la chaîne américaine CBS, a permis à la lanceuse d’alerte d’évoquer son expérience chez Facebook. Elle assure que le groupe a choisi “le profit plutôt que la sécurité” et avoir accumulé “suffisamment” de documents “pour que personne ne puisse douter de la réalité de la situation”. Présente lors des élections présidentielles américaines de novembre 2020, elle ajoute que le réseau social avait mis en place un dispositif visant à réduire la désinformation. Toutefois, les différentes mesures n’auraient pas été conservées et Facebook aurait remis en place les anciens algorithmes.

L’ancienne employée évoque une “trahison de la démocratie” et estime que son ex-employeur a choisi de “donner la priorité à la croissance plutôt qu’à la sûreté”. Outre une vidéo de 13 minutes qui a davantage fait trembler l’état-major de Facebook que la panne géante, Frances Haugen a pu s’exprimer devant le Sénat américain. Le sénateur Richard Blumenthal a confié avoir rarement “vu ou entendu un témoin aussi crédible et convaincant sur un sujet aussi épineux”. Dans des propos rapportés par CNN, il ajoute que “Frances Haugen veut réparer Facebook, pas le réduire en cendres”.

La lanceuse d’alerte s’est également positionnée “contre le démantèlement de Facebook”, un sujet régulièrement évoqué aux États-Unis. Elle estime qu’une telle démarche n’éliminerait pas les risques potentiels que l’entreprise pose à la société. “Ce qui me fait peur, c’est que Facebook est l’Internet pour une grande partie du monde. Si vous allez en Afrique, Facebook est [synonyme] d’Internet. Si vous séparez Facebook et Instagram, il est probable que la plupart des fonds publicitaires iront à Instagram et que Facebook continuera d’être ce Frankenstein qui met en danger des vies dans le monde entier”, précise-t-elle.

 © Facebook
© Facebook

Alors que le groupe vient de mettre en pause son très décrié projet Instagram Kids, Frances Haugen se dit favorable à ce qu’Instagram fixe une limite d’âge à “16 ou 18 ans”, contre 13 ans actuellement.

Une addiction aux réseaux sociaux et des parents qui ne comprennent pas

Au cours de son témoignage, la lanceuse d’alerte a également évoqué le cas des parents. “Facebook sait que les parents d’aujourd’hui, parce qu’ils n’ont jamais vécu cette expérience addictive avec une technologie, donnent de mauvais conseils à leurs enfants. Ils disent des choses comme ‘Pourquoi n’arrêtes-tu pas de l’utiliser ?’”, explique-t-elle. Elle précise également que le réseau social sait qu’un contenu qui suscite “une réaction extrême de votre part est plus susceptible d’obtenir un clic, un commentaire ou un partage”.

“Ces clics, commentaires et partages ne sont pas forcément à votre avantage… Ils donnent la priorité au contenu dans votre flux afin que vous donniez de petits coups de dopamine à vos amis pour qu’ils produisent plus de contenu”, ajoute-t-elle.

Mark Zuckerberg défend son réseau social

Ces propos ne sont pas passés inaperçus et Mark Zuckerger a rapidement réagi. “Au cœur de ces accusations se trouve l’idée que nous donnons la priorité au profit sur la sécurité et le bien-être. C’est tout simplement faux”, explique-t-il dans une longue publication sur sa page Facebook. Il ajoute : “L’argument selon lequel nous diffusons délibérément des contenus qui mettent les gens en colère dans un but lucratif est profondément illogique. Nous gagnons de l’argent grâce aux publicités, et les annonceurs nous disent constamment qu’ils ne veulent pas que leurs publicités soient placées à côté de contenus nuisibles ou agressifs. Et je ne connais pas d’entreprise technologique qui cherche à développer des produits qui mettent les gens en colère ou les dépriment.”

Le patron du réseau social répond à plusieurs points du témoignage de la lanceuse d’alerte dans son discours. Il évoque également le rapport entre les jeunes et les technologies, arguant que les entreprises technologiques “devraient créer des expériences qui répondent à leurs besoins tout en assurant leur sécurité”.

Article rédigé par
Thomas Estimbre
Thomas Estimbre
Journaliste
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